Fanatic (Silvio Narizzano, 1965)

Fanatic / Die! Die! My Darling (Silvio Narizzano, 1965) poster US

 
Dans la lignée des efforts de la Hammer pour se diversifier durant les années 60, Fanatic (ou Die! Die! My Darling pour son exploitation américaine) propose un récit sous influence avec l'américaine Stefanie Powers et la grande et rare Tallulah Bankhead. Un Hammer atypique et surprenant.

Patricia (Stefanie Powers), une jeune femme sur le point de se marier, veut rendre visite à la mère de son précédent compagnon pour tourner la page. Cette visite de courtoisie ne se passera pas vraiment comme prévu...

Le film est divisé en deux parties bien distinctes : dans la première, le personnage joué par Stefanie Powers est surpris par les manières de son hôte, la vieille madame Trefoile ; en effet, celle-ci, très pieuse, s'offusque devant tout objet de tentation ou, plus largement, tout trait de la vie moderne. La personnalité pétillante de Stefanie Powers, son ingénuité même, fait pencher la balance vers la comédie, qui vire au noir. 

Pensant tout haut, ne prenant pas vraiment au sérieux la tragédie annoncée, elle ne voit pas arriver l'évidence : cette deuxième partie du film, bien plus dramatique, qui la voit séquestrée et molestée par la vieille madame Trefoile. Le générique de début nous indique clairement cette bascule par ses éléments graphiques (un chat et une souris colorés sur fond noir se succèdent à l'écran dans une chasse semble-t-il gagnée d'avance) comme par ses éléments sonores -la musique, suivant la même opposition, bascule d'un arpège enjoué à un violoncelle tragique. La partition du compositeur britannique Wilfred Josephs est d'ailleurs étonnamment piquante tout au long du film, pour appuyer la dimension comique et légère d'un récit qui aurait pu autrement devenir glauque et plonger dans l'horreur ; ce n'était pas le choix du réalisateur. Ce n'est pas le premier film Hammer auquel contribue le compositeur ; il a signé la musique du film Cash on Demand (Quentin Lawrence, 1961). Josephs est autrement connu pour des musiques de séries télévisées, parmi lesquelles Moi, Claude empereur (Herbert Wise, 1976) ou une adaptation d'Orgueils et préjugés (Cyril Coke, 1980), mais surtout pour son œuvre musicale classique.

Premier thriller en couleur de la Hammer, Fanatic est aussi le premier film de cinéma du canadien Silvio Narizzano ; appliqué, il investit le film de son intérêt pour Mario Bava et ses éclairages psychédéliques dès le générique. On pense aussi à la façon dont Roger Corman, pour son cycle Edgar Allan Poe, créait ses génériques d'ouvertures. Narizzano essaie également d'impulser du mouvement à la caméra pour dynamiser l'unité de lieu. Le décor de la maison de madame Trefoile apparaît à la fois tangible : le spectateur arrive bien à se repérer dans l'espace, un espace rendu menaçant par les teintes et les textures utilisées (bois, verre).

Tallulah Bankhead et Stefanie Powers dans Fanatic / Die! Die! My Darling (Silvio Narizzano, 1965)
Tallulah Bankhead et Stefanie Powers

 

Le tournage se déroule aux studios EMI/MGM d'Elstree de début septembre à fin octobre 1964. Le film sort quelques mois plus tard, le 31 mars 1965, en Angleterre dans le circuit de salles ABC assorti du classement X. Il est distribué par British Lion en double-programme avec une production Universal, À bout portant (Don Siegel), le remake des Tueurs (Robert Siodmak, 1946). Les critiques de Fanatic sont plutôt bonnes, louant notamment la performance de l'actrice principale.

Les influences du film sont à aller chercher du côté des thrillers donnant le premier rôle à de vieilles gloires hollywoodiennes, comme Qu'est-il arrivé à Baby Jane ? (Robert Aldrich, 1962), Chut... chut, chère Charlotte (Robert Aldrich, 1964), La Meurtrière diabolique (William Castle, 1964) Le Cercle de sang (Jim O'Connoly, 1968) ou encore The Anniversary (Roy Ward Baker, 1968). Des actrices dont la gloire est un souvenir lointain se prêtent au jeu de la perfidie, de l'aigreur et de la jalousie dans des proportions titanesques.
On peut également noter une parenté avec l'immense Boulevard du crépuscule (1950). Dans ce film, Billy Wilder prend pour sujet une vielle actrice qui vit recluse avec son majordome, avec les reliques de ses succès passés. La situation est d'autant plus intéressante que Gloria Swanson, l'actrice qui joue le rôle, réinvente pour ainsi dire sa propre histoire ; gloire du muet, sa carrière subit un coup d'arrêt avec l'arrivée des talkies. Tallulah Bankhead, madame Trefoile dans Fanatic, américaine de naissance, fut elle aussi une actrice de premier plan, au théâtre surtout, à Broadway mais aussi à Londres. Madame Trefoile cache aussi une vie passée d'actrice, et se recueille chaque soir dans un mausolée à la gloire de son image passée. La profondeur du rôle va même jusqu'à lui faire composer un personnage intolérant, acariâtre, punissant toute incartade aux règles strictes de sa maisonnée. Or, Bankhead, dans ses folles années, n'a jamais caché ni ses multiples addictions (alcool, drogues), ni ses mœurs jugées déviantes à l'époque : ouvertement bisexuelle, elle défrayait la chronique. Le film Billie Holiday, une affaire d’État (Lee Daniels, 2021) illustre sa relation romantique avec la célèbre chanteuse. Quelle ironie alors, de la voir si parfaitement à l'aise dans la peau de la psychopathe madame Trefoile, que la vision de la couleur rouge suffit à faire défaillir. Ce choix de casting est impeccable (comme d'autres, y compris un jeune et inquiétant Donald Sutherland), et apporte une profondeur supplémentaire au film. Silvio Narizzano cependant s'en rappelle en ces termes : 

Aucun mot n'est assez fort pour exprimer mon soulagement à la fin du tournage. Elle [Tallulah Bankhead] était exceptionnelle, mais impossible.
En effet, Bankhead a fait sa diva, imposant des modification à Richard Matheson pour le scénario, et faisant faux bond à la production certains jours. Mais l'histoire ne s'arrête pas là : à la fin des années 90, le metteur en scène Mathew Lombardo monte une pièce autour d'une réplique de Tallulah Bankhead dans Fanatic, qu'elle a du redoubler à cause d'un souci technique durant le tournage. Fine saoule, elle met vingt minutes à prononcer sa réplique correctement. Partant de cette bande d'enregistrement, le metteur en scène imagine toute une situation. D'abord interprétée par Valerie Harper, le rôle de Tallulah Bankhead dans la pièce sera plus tard tenu par Stefanie Powers elle-même.

Tallulah Bankhead dans Fanatic / Die! Die! My Darling (Silvio Narizzano, 1965)
Lumières expressionnistes

 

Au final, le film, tout en équilibriste entre la farce et le suspense, trouve sa voie par un numéro d'actrice fantastique, une utilisation impressionniste des couleurs et de l'éclairage, et du sens du suspense qui tient tout le film. On tient là une belle réussite de la Hammer Film.

Sources bibliographiques :

Coffret Blu-ray Hammer Volume One : Fear Warning! - éditeur Powerhouse / Indicator
Hammer Complete / Howard Maxford
Hammer Film, An Exhaustive Filmography / Tom Johnson, Deborah Del Vecchio
Livret Fanatic - la main sur la bible / Marc Toullec, inclus dans l'édition Blu-ray ESC

Disponibilité vidéo : Blu-ray FR - éditeur ESC (film présenté au ratio 1.78:1)
Blu-ray zone B UK – éditeur Powerhouse / Indicator (version originale sous-titrée anglais uniquement - film présenté au ratio 1.85:1, format respecté).

Fanatic / Die! Die! My Darling (Silvio Narizzano, 1965) Title still

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