Le Loup-garou (George Waggner, 1941)

Le Loup-garou (The Wolf Man, George Waggner, 1941) affiche du film


Universal a construit en quelques années une image de pourvoyeur majeur en films d'épouvante fantastique et gothique, sous la houlette du jeune Carl Laemmle Jr. S'enchaînent alors à une allure de croisière une suite de films qui deviendront tous des classiques des Monsters Movies : DraculaFrankenstein, La Momie, L'Homme invisible, ... puis ce Loup-garou plus tardif qui, s'il n'est pas ni le plus célèbre ni le plus réussi du lot, est tout de même franchement fascinant.

À l'inverse des fameux films pré-cités, le loup-garou n'est pas issu d'une œuvre littéraire ou inspiré d'une actualité de l'époque. Le scénariste Curt Siodmak (frère de Robert) s'inspire du cycle des Universal Monsters et met sur le devant de la scène une créature mi-homme mi-loup, encore plutôt méconnue aux États-Unis. En piochant dans différents mythes, et en inventant certaines caractéristiques, Siodmak façonne ainsi la vision moderne du loup-garou, qui prévaut depuis lors. Ainsi, si un homme se fait mordre par un loup-garou, il se transformera en monstre à la prochaine pleine lune. Sous sa forme bestiale, il est assoiffé de sang, et seule une balle en argent peut en venir à bout. La phrase, assénée à trois reprises au début du film tel un ancien proverbe, "Même un homme au cœur pur, qui dit sa prière tous les soirs, peur se transformer en loup lorsque fleurit l'aconit et la lune est pleine", est  une totale invention du scénariste. Sa poésie et son impact est si grand que la phrase sera reprise dans les autres itérations cinématographiques du loup-garou à Universal, comme La Maison de Frankenstein (House of Frankenstein, Erle C. Kenton, 1944)), réunion plutôt réussie faisant intervenir tous les monstres. Wolfman (Joe Jonhston, 2010), véritable hommage au film de Waggner, s'ouvre également sur cette phrase. Le personnage principal, par ses transformations et la conscience de son alter-ego monstrueux, rappelle la dualité de Docteur Jekyll et Mister Hyde, mais aussi Dracula.

Même si Le Loup-garou est le film qui marqua un nouveau départ pour le monstre poilu, il n'est pas le premier film consacré à la lycanthropie par la Universal. Six ans plus tôt, Stuart Walker réalise Le Monstre de Londres (Werewolf of London), avec Henry Hull dans le rôle-titre. Les prémisses du projet remontent même à 1932, et le film devait être réalisé par Robert Florey, candidat malheureux à la réalisation de Frankenstein. Le projet était calibré pour Boris Karloff, triomphant alors dans les rôles de monstres, mais l'agenda de l'acteur britannique affichant complet, cela tourna court. Le film de Stuart Walker ne marqua pas vraiment les esprits : il en sera tout autre pour le Loup-garou millésime 1941.


Lon Chaney Jr. en portrait dans le film Le Loup-garou (The Wolf Man, George Waggner, 1941)


Universal table alors sur les valeurs sûres : Claude Rains (L'Homme invisible), Bela Lugosi (Dracula) ou encore Lon Chaney Jr., qui vient de connaître le succès avec l'adaptation du Livre Des souris et des hommes, réalisé par Lewis Milestone. Il est intéressant de voir à quel point la tragédie du loup-garou entre en écho avec la carrière délicate de Lon Chaney Jr. : des débuts avortés, puis dans l'ombre de son père Lon Chaney, "l'homme aux mille visages", de sérieux problèmes d'alcool et, globalement, une filmographie marquée par la série B. Son dernier film sera tout de même un moment de cinéma très surprenant et bien ficelé, à savoir le Spider Baby de Jack Hill.

La jeune Evelyn Ankers trouve ici un beau rôle, elle qui connaîtra presque toutes les franchises des Universal Monsters, puisqu'on la retrouve ensuite dans Le Spectre de Frankenstein, Le Fils de Dracula ou La Revanche de l'homme invisible. Les amateurs d'aventures de Sherlock Holmes la retrouve également dans la série de films avec Basil Rathbone et Nigel Bruce : Sherlock Holmes et la voix de la terreur et La Perle des Borgia

La gitane Maleva, qui raconte à Talbot la malédiction du loup-garou (et l'apprend au sepctateur par la même occasion, est interprétée avec intensité par Maria Ouspenskaya. D'origine américano-russe, elle endosse la coloration exotique du film. On retrouve avec bonheur sa présence particulière dans Frankenstein rencontre le loup-garou (Frankenstein Meets the Wolf Man, Roy William Neill, 1943) où elle incarne le même rôle.

On peut trouver le casting étonnant, surtout concernant la relation père / fils entre Claude Rains et Lon Chaney Jr. Chaney le colosse ne semble pas avoir grand chose en commun avec le menu Claude Rains. Cette relation est néanmoins le pivot du film : ce fils, revenu d'Amérique, renoue avec son père. Le jeune Larry Talbot incarne une certaine modernité qui retourne dans une régions d'arriérés (C'est papa Talbot qui le dit !). Le film est tourné dans le village européen, une partie des studios Universal qui a accueilli au fil des ans tous les films fantastico-gothique de la firme. Dans cet espace indéfini pouvant très bien figurer l'Allemagne, l'Autriche, la Suisse ou la campagne anglaise, les personnages semblent hors du temps. Si la localité n'est d'ailleurs jamais précisée dans le film, les scénarios successifs placent l'intrigue dans le pays de Galles.

Le film, toujours assez court, dans la tradition des Universal Monsters, fait preuve d'une très belle facture, notamment grâce à la photographie contrastée de Joseph A. Valentine. Côté technique, tous les cadors sont là : John P. Fulton aux effets spéciaux optiques, qui produit d'ailleurs une jolie scène de transparences successives figurant un cauchemar de Larry Talbot ; aux maquillages, Jack Pierce, qui conçoit l'apparence du loup-garou ; vision qui fera naître des vocations, notamment celle de Rick Baker, maître moderne des maquillages. L'équipe conçoit donc un vrai spectacle A, malgré quelques faux raccords et incohérences (un télescope, installé sous les toits à l'horizontale, donne directement sur la grande rue). 

Dans le prolongement de la relation père-fils, Le Loup-garou comprend une forte dimension psychologique, typique de l'Hollywood des années 30-40. Ainsi, alors que Larry Talbot se transforme régulièrement en loup-garou, des médecins avancent qu'il délire, que son esprit imagine ces transformations ; ou comment donner une explication psychanalytique à la lycanthropie. Dans de nombreuses versions antérieures du script, la question n'est d'ailleurs jamais levée si, oui ou non, le personnage principal invente son affection, ou si elle est bien réelle... La trajectoire tragique du personnage ne finira cependant pas au carton The End : contrairement aux autres suites des Universal Monsters, qui ont souvent eu des acteurs différents, Lon Chaney Jr. est le seul Larry Talbot, et il aura quatre autres occasions de le prouver.


Sources bibliographiques :

Universal Horrors, The Studio's Classic Films, 1931-1946 / Tom Weaver, John Brunas, Michael Brunas, 2017 (deuxième édition)

Disponibilité vidéo : DVD / Blu-ray / UHD - éditeur : Universal Pictures Video


Le Loup-garou (The Wolf Man, George Waggner, 1941) image titre du film


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