Ivanhoé (Richard Thorpe, 1952)

Ivanhoe (Richard Thorpe, 1952) poster US

Le Moyen Âge se déploie tel un grande tapisserie en Technicolor dans les films de studios hollywoodiens des années 1950. Ivanhoé, d'après le célèbre roman historique de Sir Walter Scott, marque le début d'une série de films à la MGM avec Robert Taylor dans le rôle-titre.

Même s'il a été un réalisateur très prolifique dans les décennies précédentes, c'est dans les années 1950 que Richard Thorpe est à son meilleur. Le Prisonnier de Zenda et Ivanhoé (1952), Les Chevaliers de la table ronde (Knights of the Round Table, 1953) sont de grands succès, tous produits par Pandro S. Berman (Quasimodo de Dieterle en 1939, Le Portrait de Dorian Gray d'Albert Lewin en 1945). C'est aussi le temps des films de cape et d'épée de George Sidney, avec Les Trois mousquetaires (The Three Musketeers, 1948) et Scaramouche (1952), où de preux gentilshommes combattent de vils gredins. 

Le récit fondateur de Walter Scott avait déjà connu un essai d'adaptation cinématographique par la MGM : en 1935, le producteur Walter Wanger avait en effet prévu le film avec Fredric March (Ivanhoé), Loretta Young (Rowena) et Gary Cooper (Richard Ier). Les années passent et le projet s'en trouve modifié, puis remis à plus tard en raison du conflit mondial. C'est finalement le producteur Pandro S. Berman, qui travaille ces années-là avec Richard Thorpe, qui va concrétiser le projet. Ivanhoé va coûter un peu moins de 4 millions de dollars, qui permettent notamment de construire le château de Torquilstone, au sein des studios MGM de Borehamwood, au nord de Londres. Le château sera réutilisé en 1955 pour le film L'Armure noire (The Warriors, Henry Levin). Ces studios accueilleront entre autres les productions Hammer à partir du milieu des années 1960.


Joan Fontaine dans Ivanhoé (Richard Thorpe, 1952)
Joan Fontaine

Ce regard vers le passé, riche en imagerie et trouvant un écrin idéal dans l'artificialité colorée du cinéma américain de l'époque, se double d'un discours sur la vertu qui a trait au sacré. L'idéal chevaleresque défendu dans Ivanhoé est d'une pureté de conte ; les indomptables élans du cœur sont le plus souvent dissimulés sous un calme tout apparent. Ces archétypes moraux se cristallisent au cinéma par la version d'Ivanhoé réalisée par Thorpe et scénarisée par Noel Langley et Marguerite Roberts. Ivanhoé est d'une droiture à toute épreuve, et quand il déclare sa flamme à Lady Rowena (Joan Fontaine), ce n'est pas pour tomber dans les bras de la belle (et plus jeune) Rebecca, interprétée par Elizabeth Taylor - aucun lien avec Robert Taylor, le nom de scène de l'américain Spangler Arlington Brugh. 

Et l'Histoire, dans tout cela ? Le carton d'introduction, classique, est très clair : "Les événements et personnes dépeintes dans ce film sont œuvre de fiction. Toute similitude avec des personnages réels, vivants ou morts, est non-intentionnelle." Pour autant, les chevaliers en armure, damoiselles en robes colorées et autres brigands en collants s'agitent dans un tissu historique, certes romancé, mais qui régit les rapports de forces entre les personnages, et nourrit le récit. Ici, c'est le conflit entre les Normands (des Vikings venus de Scandinavie) et les Saxons dans l'Angleterre médiévale qui tend le film. Les uns ont renversé les autres lorsque Guillaume, duc de Normandie bat Harold Godwinson à la bataille d'Hastings, en 1066. Comme si la rivalité entre Saxons et Normands ne suffit pas, Walter Scott ajoute un patriarche juif, Isaac et sa fille Rebecca (Elizabeth Taylor dans le film), qui apporteront soin et aide financière au héros dans sa quête. La narration évite toute affrontement simpliste : Normands et Saxons sont chrétiens, et tiennent les juifs pour "infidèles". Les meilleures dialogues, empli de retenue et d'humour très anglais, concernent cette opposition dogmatique ; notamment celui entre Rebecca et Rowena, cette dernière demandant "Est-ce qu'une juive connaît la jalousie ?", et lorsque Rebecca répond par l'affirmative, Rowena dit : Dans ce cas, elle est très proche d'une femme saxonne". Le personnage de Wamba (Emlyn Williams), l'expansif esclave qui devient l’écuyer d'Ivanhoé,  fait aussi des réflexions fines, telle cette réplique pleine de sagesse face à Sir Brian De Bois-Guilbert (George Sanders) et Hugues de Bracy (Robert Douglas) qui s’offusquent de l'accueil du juif Isaac : 

"Pour tout juif que vous me montrerez qui n'a rien d'un chrétien, je vous montrerai un chrétien qui n'a rien d'un chrétien." 

 

Elizabeth Taylor dans Ivanhoé (Richard Thorpe, 1952)
Elizabeth Taylor

Le film se déroule en 1092, alors que Richard Cœur de Lion, roi Normand d'Angleterre de retour de croisade, a été fait prisonnier par Leopold d'Autriche, qui demande rançon. Le chevalier Wilfred d'Ivanhoé se fait un devoir de retrouver son roi, sillonnant les domaines et châteaux. Le roman de Scott comprend un personnage qui n'est pas repris dans le film ; Athelstane de Corinsburg, à qui Cédric de Rotherwood, noble Saxon et père d'Ivanhoé, veut marier Rowena. La trame du film, déjà riche, aurait difficilement pu s’accommoder d'un personnage dont Lady Rowena n'a que faire ; la rivalité entre Rowena et Rebecca suffit.

Pour accompagner ce séjour en Angleterre médiévale, la partition de Miklós Rózsa est remarquable. Déjà responsable de la musique de Quo Vadis l'année précédente, le compositeur signe des mélodies qui ont infusé toute la musique de film épique de cette époque, en s'inspirant des ballades médiévales (dont une écrite par Richard Cœur de Lion lui-même). Le film commence d'ailleurs par Ivanhoé d'Ivanhoé, recherchant une trace de vie du roi Richard en jouant une mélodie à la guitare. Si la vue de ce chevalier jouant un air paraît incongrue, c'est un fait historiquement avéré. Rózsa retrouvera Richard Thorpe pour composer la musique des Chevaliers de la table ronde en 1955.

George Sanders et Robert Douglas dans Ivanhoé (Richard Thorpe, 1952)
George Sanders (au centre) et Robert Douglas (à gauche) ; en amorce, de dos, Guy Rolfe

Le film connaît bien des points communs avec le magnifique Les Aventures de Robin des Bois (Michael Curtiz et William Keighley, 1938), à commencer par la présence du brigand au grand cœur, personnage certes fictif mais qui apporte une aide bienvenue au héros dans le film. L'histoire générale est globalement la même, la période contée étant identique ; au rayon des péripéties, le tournoi est évidemment central (l'archerie est remplacée ici par les joutes) et l'idéal chevaleresque va l'emporter. 

Ivanhoé, réussite artistique et commerciale, reste cependant en dessous de son modèle. La faute à une caméra trop statique et à des combats brouillons, manquant de réalisme et d'impact (la bataille qui mène à la capture de Rowena et Rebecca), là où le dynamisme de la réalisation de Curtiz fait merveille dans Robin des Bois. La qualité picturale d'Ivanhoé est cependant supérieure : le Technicolor et les éclairages composent de véritables tableaux. 

Robert Taylor dans Ivanhoé (Richard Thorpe, 1952)
Robert Taylor

Ivanhoé marque durablement le cinéma, notamment par sa richesse thématique  c'est aussi cette fenêtre sur un monde magique de cinéma, qui n'appartient qu'à lui. Les images imprimées sur la pellicule resteront dans la mémoire des cinéphiles, comme l'illustration parfaite d'un Moyen Âge fantasmé, où le courage et la droiture morale de chevaliers constituent l'ultime idéal.

Disponibilité vidéo : DVD FR zone 2 - éditeur Warner ; Blu-ray US zone A - éditeur Warner (version originale sous-titrée anglais uniquement).

Source bibliographique :
Regards sur le cinéma américain 1932-1963
/ Patrick Brion


Ivanhoé (Richard Thorpe, 1952) title still

Commentaires

  1. Superbe film et belle chronique. Cela donne envie de le revoir dans une version qui fasse honneur à l'esthétique du film. Les images d'illustration sont superbes, j'imagine qu'elles sont tirées du blu-ray indiqué.

    Ivanhoé a passé de mode toutefois. Il célèbre sous la plume d'un Écossais l'union des Saxons et des Normands, si je ne me trompe pas. Aujourd'hui, dans les récits qui se déroulent au Moyen Age, ce sont plutôt des héros de la résistance qui sont mis en avant, Robert le Bruce par exemple pour la résistance écossaise.

    J'aime bien le personnage de Rebecca, et dans le livre il dit certainement quelque chose de la curiosité de Walter Scott pour la magie et la sorcellerie. J'aime aussi beaucoup les liens que ce film et le Robin des bois de Curtiz entretiennent. Bien envie de le revoir !

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  2. Bonjour Benjamin, merci pour votre message. J'ai redécouvert ce classique du film de chevalerie, et j'avoue qu'il m'a bien plus impressionné qu'à la dernière vision ; la très belle restauration effectuée pour le dernier Blu-ray en date n'y est pas pour rien.

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