L'Enfant du diable / The Changeling (Peter Medak, 1980)

 

Affiche du film L'Enfant du diable (The Changeling, Peter Medak, 1980)

Les films de maisons hantées sont nombreux, et certains d'entre eux sont reconnus comme des classiques du septième art : La Maison du diable (Robert Wise, 1960), Les Innocents (Jack Clayton, 1961), Shining (Stanley Kubrick, 1980) ou Poltergeist (Tobe Hooper, 1982). Il y a en d'autres qui, sans avoir reçu les honneurs de la critique, méritent qu'on s'y attardent. L'Enfant du diable est de ceux-là.

Le film est sorti en France en le 29 octobre 1980 ; il a été tourné bien plus tôt, de décembre 1978 à février 1979. Durant les années 70, les films d'épouvante ont fait d'immenses succès commerciaux : ce sont Rosemary's Baby (Roman Polanski, 1968) ou L'Exorciste (William Friedkin, 1973), qui ont vite attiré de nombreux producteurs souhaitant dupliquer cette formule qui a si bien marché : du surnaturel dans une maison effrayante, face à des adultes dépassés. Dans l'écume de ces films, Trauma (Burnt Offerings, Dan Curtis, 1976), The Changeling mais aussi L'Emprise (Sidney J. Furie, 1982) sont moins connus mais tout aussi intéressants.

The Changeling est très ancré dans les années 70 : on y retrouve un personnage déjà vieillissant (George C. Scott, qui n'a pourtant que 52 ans lorsqu'il tourne le film), pianiste de renom et professeur de musique, éprouvé par la perte de sa femme et de sa fille ; il rappelle les personnages de Robert Thorn (Gregory Peck) dans La Malédiction (The Omen, Richard Donner, 1976), qui mène l'enquête alors qu'un déluge de faits surnaturels s'abat sur lui et son entourage. Le sous-texte de The Changeling est aussi nourri de défiance envers le politique, grande thématique des années 70 dans le cinéma américain ; la puissance construite sur le mensonge et la dissimulation, également.

Il emménage dans un manoir dont il va peu à peu découvrir le macabre passé. La perte des êtres chers plonge le film dans une mélancolie que la musique du pianiste de notre histoire, John Russell (George C. Scott), souligne élégamment. Quand Russell découvre la boîte à musique, il se rend compte que la mélodie produite par l'objet est celle qu'il a écrit il y a quelques temps, comme si l'esprit qui règne sur le manoir avait pris possession de l'artiste. Reflet d'un passé qui revient sans cesse, la boîte à musique a été aussi utilisée dans Trauma. On retrouve d'ailleurs le rôle prépondérant de la musique dans un autre film d'épouvante méconnu de la période, Satan, mon amour (Paul Wendkos, 1971). D'autres objets cristallisent les peurs : une simple balle préfigure certaines séquences de Shining ; une médaille, un fauteuil roulant. Cette mythologie des objets, qui contiennent et / ou catalysent la puissance de forces éthérées, est fort bien développée dans le film. La musique, composée par Rick Wilkinds, est aussi un élément déterminant, à la fois sur le plan de la caractérisation des personnages, mais aussi comme médium soutenant les manifestations fantomatiques. Les coups sourds, sortis d'on ne sait où, entendus par Russell dans la maison, ne sont pas sans rappeler les manifestations surnaturelles dans le fabuleux La Maison du diable. Et, comme dans tout film de maison hantée qui se respecte, la séance de spiritisme répond présent et vaut son pesant de frayeur, à la fois pendant et après son déroulement. Son enregistrement révèlera des clés à celui qui veut bien entendre.

 

George C. Scott dans L'Enfant du diable / The Changeling (Peter Medak, 1980)
George C. Scott

The Changeling est une œuvre profondément mélancolique, rappelant Ne vous retournez pas (Don't Look Now, 1973), le chef-d’œuvre de Nicolas Roeg, tout comme Le Cercle infernal (Full Circle / The Haunting of Julia, Richard Loncraine, 1977). Les trois films commencent par la perte d'un enfant, une des choses les plus terribles à vivre pour un parent. Cette perte, affectant les personnages à jamais, va les conditionner. Ils seront plus sensibles aux manifestations métaphysiques, voire les provoqueront. 

George C. Scott est absolument fabuleux dans The Changeling, devenant un enquêteur pour permettre  à la présence dans la maison de trouver le repos. L'année précédente, dans Hardcore de Paul Shrader, il arpentait Los Angeles à la recherche de sa fille, celle-ci frayant dans le milieu des tournages de films pornos. Les expressions de George C. Scott, sa gravité, et le pragmatisme du personnage, qui ne doute jamais de la dimension surnaturelle des événements, rend le récit très crédible. D'autant plus que le film est basé sur des faits supposés réels, s'étant déroulés dans un manoir du Colorado. Supposés car depuis, le témoignage de Russell Hunter est sujet à caution. Si c'est le réalisateur canadien Peter Medak qui réalise (avec un sens du cadre et de l'adéquation image / musique classique et racé), Donald Cammell (Génération Proteus, 1977, White of the Eye, 1985) a d'abord été attaché au projet.

Impossible d'écrire un article sur ce grand film mésestimé sans évoquer un artisan essentiel, John Coquillon, directeur photo chez Sam Peckinpah, qui dessine ici une photo ouatée et colorée, volontiers grainée, mettant en avant la couleur rouge, celle du danger (inspiré certainement pas là par Ne vous retournez pas, et qu'on retrouvera ensuite dans bon nombre de films fantastiques ou d'épouvante).

L'Enfant du diable (au titre français aussi racoleur que trompeur ; l'original anglais The Changeling, volontairement ambigu, est plus adéquat) est un film sous influences. Pour autant, l'ensemble inspire aujourd'hui bien des cinéastes et des histoires ; Ring (Hideo Nakata, 1998) a notamment un certain nombre de similitudes avec le film de Peter Medak, dans les motifs et le déroulement de son intrigue. The Changeling mérite aujourd'hui d'être bien mieux considéré dans l'histoire du cinéma d'épouvante.

Disponibilité vidéo : Blu-ray FR zone B - éditeur : StudioCanal ; Blu-ray & 4K UHD UK zone B (sous-titres anglais pour sourds et malentendants uniquement) - éditeur : Second Sight.

 

Image titre du film L'Enfant du daible (The Changeling, Peter Medak, 1980)

 

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