Le Faucon maltais (John Huston, 1941)
Troisième adaptation du roman de Dashiell Hammett par la Warner, celle-ci sera la bonne, en cela qu'elle colle bien plus à l'esprit du matériau original (malgré les limitations du code de production cinématographique, qui interdit par exemple de définir ouvertement Joel Cairo comme un homosexuel). Aucun personnage n'est positif mais le spectateur éprouve malgré tout une forte empathie pour Sam Spade, détective brutal et apparemment peu sujet aux émotions -il n'éprouve rien face à l'assassinat de son partenaire, et fait rapidement changer les inscriptions sur le fronton de leur bureau pour ne faire apparaître que le sien. Naviguant entre deux eaux, ni flic ni brigand, Sam Spade partage selon son humeur des traits de caractères avec les deux camps. À la fois sans attaches -pas de famille ou d'amis- et ligoté (il couche avec la femme de son équipier et va succomber à Brigid O'Shaughnessy, une cliente), il incarne l'incertitude des temps de crise, un monde où les repères classiques ont disparu ; le roman a été écrit juste avant la grande dépression de 1929. Les repères et les règles narratives au sein du film, aussi, semblent se faire la malle, tant on attend avant d'entendre parler du fameux faucon maltais. À part un carton défilant reliant le faucon à d'anciennes allégeances du XVIème siècle, le film démarre sur l'appel à l'aide d'une femme en détresse (Brigid, interprétée par Mary Astor). Le faucon arrivera comme un cheveu sur la soupe, avec l'entrée en scène tardive de l'excellent Peter Lorre.
L'économie de moyens du film (tournage en intérieurs, acteurs sous contrat pas encore stars) est transcendée par la mise en scène de Huston, inspirée par l'expressionnisme allemand : angles extrêmes (beaucoup de contre-plongée asymétriques qui dessinent un univers anguleux et claustrophobe), silhouettes découpées par les ombres, telles des rasoirs. La stylisation naît ici des sources lumineuses en moins grand nombre, l'éclairage étant traditionnellement composé de trois sources : l'éclairage clé, délivrant un forte lumière directement sur le sujet, produisant des ombres très marquées, que viennent compenser la deuxième source, dite lumière d'ambiance. La troisième source est placée habituellement derrière le sujet, créant un halo autour du personnage, le détachant du décor d'arrière-plan. Or, dans Le Faucon maltais et quantité d'autres films, les deuxièmes et troisièmes sources sont fortement atténuées, voire supprimées, d'abord pour une question d'économie. Les ombres et parties sombres sont alors majoritaires à l'image, peignant un monde au crépuscule, marquant physiquement les personnages, dévoilant leurs tourments intérieurs. Et puis, quel style ! Les jeux de lumière, à commencer par les effets photographiques du générique de début, subtilement voluptueux et vaporeux, sont extraordinaires.
La brutalité de Sam Spade est contrebalancée par l'opportunisme et le mensonge de Brigid, véritable serpent qui fait succomber le détective : la passion n'a pas de raison. Il trouve en elle comme son double féminin, une personne guidant toutes les actions qu'elle entreprend vers son seul bénéfice personnel. Cachée sous les atours de la féminité, sa fourberie n'en est que plus efficace.
Comment ne pas parler de Bogart, qui n'a pas besoin de faire grand chose pour exploser à l'écran, imposant son charisme et son autorité naturelle ? Il paraît aujourd'hui insensé qu'il ait passé des années à jouer les seconds couteaux à l'œil mauvais dans les films de gangsters de la Warner, tant sa silhouette svelte et son visage en font un personnage de cinéma évident. On ne regrette pas, au passage, George Raft, la star de l'époque, qui a refusé tous les grands rôles qui lui ont été proposés. Le premier "premier rôle" de Bogart sort d'ailleurs la même année ; il s'agit de La Grande évasion (High Sierra, Raoul Walsh), qui avait d'abord été proposé à Raft.
L'introduction du faucon maltais dans l'histoire est significative de la fidélité au roman d'origine : on sait que les romans noirs de Hammett et d'autres sont les assemblages de plusieurs histoires hétéroclites auparavant publiées dans la presse quotidienne. Avec la même ingéniosité que le romancier, le personnage principal relie entre elles différentes intrigues apparemment sans rapport. L'histoire imaginée autour de ce faucon offre un arrière-plan quasi-mythologique d'une grande richesse, illustrant bien l'effet d'histoire avant l'histoire, qui a débuté en réalité bien avant le premier plan du film. Le récit est vivant et se laisse pas faire, tant qu'à la fin du film, nos chercheurs de trésors repartent à l'aventure pour mettre la main sur l'oiseau rare. Comme c'est souvent le cas, l'objet central, celui qui attire toute l'attention, nous échappe. Sous-tendant tout le film, le faucon s'évapore finalement, ouvrant et fermant la porte de "ce dont les rêves sont faits" (Sam Spade)...
Disponibilité vidéo : DVD / Blu-ray zone 2/B / UHD 4K - éditeur : Warner Home Video
Nice post thank you Valdi
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