L'Enterré vivant (Roger Corman, 1962)

 

Affiche du film de Roger Corman L'Enterré vivant (The Premature Burial, 1962)

Guy Carrell (Ray Milland) a une peur phobique, obsessionnelle : celle d’être enterré vivant. Et, même si une jeune fille (Hazel Court) lui témoigne son envie de se marier et de vivre avec lui, il repousse cette idée comme il pressent sa fin proche, et peut-être afin de ne pas perpétrer une sorte de malédiction familiale diffuse.

Après La Chute de la maison Usher et La Chambre des tortures, voici chroniqué aujourd'hui L'Enterré vivant. Il s'agit du troisième film du cycle Edgar Poe réalisé par Roger Corman ; le seul sans Vincent Price. Ray Milland joue de façon plus mesurée, plus effacée que Price. Pourquoi ? Il faut remonter un peu en arrière pour bien saisir les tenants et aboutissants de l'affaire. Le rapports entre Corman et American International Pictures (AIP) s'étaient quelque peu détériorées lors du tournage du précédent film, Corman et AIP ne s'étant pas entendus sur les émoluments de Corman. Le réalisateur partit donc faire affaire avec Pathé Laboratories, qui gérait le tirage des copies pour les films AIP. Samuel Z. Arkoff et James H. Nicholson, de AIP, ayant vent de ce revirement, firent signer à Vincent Price un contrat d'exclusivité, ce qui empêcha de l'intégrer à la distribution. AIP ne s'arrête pas là : voyant d'un mauvais œil autant de profits potentiels s'échapper, Arkoff et Nicholson rachètent Pathé Labs. Le film est dès lors, et après un rapide détour, toujours une production AIP... Mais sans Vincent Price.

Ray Milland et Hazel Court dans le film L'Enterré vivant (The Premature Burial, Roger Corman, 1962)
Ray Milland, Hazel Court

La fascination et la peur de la mort est un thème récurrent dans le cycle, comme dans l'œuvre de Poe. La mort hante les vivants, faisant de ceux-ci des personnages qui ont déjà un pied dans la tombe. Guy Carrell va donc élaborer plusieurs mécanismes qui lui permettrait, le cas échéant, de sortir lui-même de son cercueil. Sa psychose va si loin que, dans une délirante séquence onirique, il rêve qu’il est effectivement enterré vivant mais qu’aucun de ces appareils ne fonctionnent, lâchant tous les uns après les autres pour le laisser enterré mais bien vivant. Tous les personnages principaux du cycle sont ainsi hantés par mort et, en voulant se prémunir de cette fin qu’ils estiment proche, précipitent encore plus leur destinée, actionnent eux-mêmes les rouages inexorables d'un destin funeste. 

La peur de la mort est universelle : La fin, le point final de l'existence, le The End du film de notre vie, est ici. Mais l'on peut voir une variante dans L'Enterré vivant, qui n'est pas tant la simple peur de mourir, car elle arrive pour tout ce qui vit ; mais plutôt, la peur de se voir mourir, d'être conscient de ce moment précis, et conscient du compte à rebours inexorable, de l'instant T où la mort va survenir. Car la beauté de la mort, c'est tout de même qu'on ne prend pas rendez-vous avec elle : la fin vient sans coup férir, la plupart du temps, même si l'on est bien au courant qu'elle viendra frapper à notre porte, quoi qu'il en soit.

Ray Milland dans L'Enterré vivant (The Premature Burial, Roger Corman, 1962)
Ray Milland

C'est là que l'angoisse est la plus forte dans L'Enterré vivant : la croyance que la vie va finir dans d'atroces souffrances, l'individu se voyant lui-même mourir. L'autre peur, c'est celle de décéder trop tôt, comme l'entend le Premature Burial du titre original, un enterrement prématuré, qui rapproche la mort de la naissance, bouclant le cycle vital. Le personnage de Carrell est en cela très proche de Roderick Usher dans La Chute de la maison Usher, Corman reprenant presque la fameuse séquence de la crypte dans laquelle le personnage passe en revue la destinée tragique de ses ancêtres.

Roger Corman continue stylistiquement sur la lancée, dans une esthétique de l'économie : la machine à brume marche à plein, et les quelques éléments présents à l’écran (branches d’arbres, tombes, coins et recoins) suffisent à embraser l’imaginaire. La prestation toute en terreur sourde, de Ray Milland est aussi pour beaucoup dans une véritable plongée dans l'inconscient, dont le fameux mausolée semble être tout droit sorti. Le fil du récit suit constamment sa vision, ce qui rend imprévisible le retournement de situation final ; Hazel Court, vue auparavant dans Frankenstein s'est échappé (1957) de Terence Fisher, interprétera plusieurs rôles dans le cycle Poe ; elle prêtera son visage diaphane au Corbeau (1963) et au Masque de la mort rouge (1964).

À l'écriture, on retrouve Charles Beaumont, scénariste proche de Richard Matheson (ce dernier, habituel collaborateur de Corman, était sous contrat avec AIP), qui a notamment travaillé comme son illustre collègue sur La Quatrième Dimension ; son univers tendant au fantastique sied particulièrement à ces pièces  hantées dont Corman s'est fait le spécialiste. Il réussit un film d'une profond sur une angoisse existentielle universelle, transformant en geste artistique ses limitations budgétaire, pour un résultat ténébreux et grave. 

Le film est cependant moins fort que les deux précédents ; les recettes s'en ressentent. Le film suivant du cycle, L'Empire de la terreur, sera l'occasion de nombreux changements.


Disponibilité vidéo : Blu-ray / DVD FR - éditeur Calysta/Sidonis. Blu-ray US - éditeur : Kino Lorber

 

Image-titre du film L'Enterré vivant (The Premature Burial, Roger Corman, 1962)

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