Le Cirque des vampires (Robert Young, 1972)
Cet Hammer Film est étonnant à plus d'un titre ; voici un film de vampires qui mêle malédiction, épidémie, transformations d'hommes en animaux, inceste, meurtres d'enfants, et possède une charge érotique très prononcée, tout cela dans l'univers étrange du cirque. Ce dernier point est devenu coutumier de la Hammer des années 70, bien plus permissive dans ce registre.
Le comte Mitterhaus, vampire de son état, attire à lui les femmes et les enfants du village de Shtettel, qui succombent les uns après les autres. Excédés, les villageois l'exécutent ; avant son dernier souffle, le vampire jette une malédiction sur le village : les enfants paieront le prix fort pour sa résurrection. Quinze ans plus tard, alors que la population de la bourgade est décimée par une mystérieuse épidémie, un cirque s'y installe. Il s'agit en fait de vampires, ou de leurs alliés, qui viennent venger et faire renaître leur compagnon disparu...
La trame rappelle celle d'un roman de Ray Bradbury sorti quelques années auparavant, La Foire des ténèbres (Something Wicked This Way Comes), qui fut par ailleurs adapté au cinéma par Jack Clayton en 1983. L'arrivée d'une troupe de forains dans une petite ville, qui aspire l'énergie vitale des habitants en se servant des enfants comme premières proies : il n'y a pas qu'un point commun entre l’œuvre de Bradbury et cet envoûtant Cirque des vampires. Le prologue du film constitue un court métrage à lui seul, contenant tout ce qui fait le mythe vampirique : la cruauté, la séduction, le sexe débridé, la colère des villageois et leur vengeance aveugle. Emportés par leur rage, ces derniers ne semblent d'ailleurs pas meilleurs que le vampire qu'ils pourchassent. Le frisson de plaisir de Domini Blythe lorsque le Comte Mitterhaus agresse et mord la petite fille dans son château donne le ton d'une œuvre transgressive. Les déchirures provoquées par les morsures n'ont par ailleurs jamais été aussi gore et détaillées dans un film Hammer.
![]() |
Skip Martin |
Un changement d'époque
À la lecture du synopsis, beaucoup pourraient n'y voir qu'un énième avatar des films de série de la firme. Or, il n'en est rien, l'agencement des blocs narratifs et le rythme global sortent de l'ordinaire. La raison à cela ? L'équipe en charge du film, producteur, scénariste, réalisateur, marque une rupture par rapport aux précédents films de la Hammer. En ce début des années 1970, la firme n'est plus à son apogée, les équipes et la localisation du studio ont changés. Anthony Hinds, producteur et scénariste des plus grandes réussites de la firme, quitte la firme en 1969. Les studios de Bray, habituel théâtre des tournages, sont vendus en 1970. La Hammer se tourne également vers la télévision avec l'anthologie Journey to the Unknown, diffusée entre 1968 et 1969. Dans le même temps, les immenses succès de Rosemary's Baby (Roman Polanski, 1968), et de La Nuit des morts-vivants (George A. Romero, 1968), incarnant l'horreur moderne, mettent en évidence le flagrant décalage des films d'horreur gothique de la Hammer, plus synchrones avec les attentes du public. Sous l'égide de Michael Carreras, le studio va alors essayer d'arpenter d'autres chemins dans un dernier élan, sans trahir leur histoire. Le Cirque des vampires est, à ce titre, une réussite indéniable. D'autres Hammer films de cette décennie méritent des éloges : citons Docteur Jekyll et Sister Hyde, une relecture audacieuse du récit de Stevenson par Roy Ward Baker à la réalisation et Brian Clemens au scénario, ou encore Comtesse Dracula (Peter Sasdy, 1971) et bien sûr, l'ultime chef-d’œuvre gothique de Terence Fisher, Frankenstein et le monstre de l'enfer (1974). Hammer Film s'aventurera également dans des co-productions avec Shaw Brothers pour des résultats peu encourageants (La Légende des sept vampires d'or et Un dénommé Mister Shatter, 1974 ; ce dernier dort même 3 ans sur l'étagère avant d'être projeté en 1977). Mais pour l'heure, direction cette histoire de vampires changeurs de forme opérant dans un cirque. Le film de forains a toujours été un terrain privilégié du cinéma, pour des résultats en demi-teinte ; l'incorporer ici à la mythologie vampirique était une idée innovante.
Un tournage avorté au casting bestial
Pour son premier long-métrage, Robert Young bénéficie d'un tournage de 6 semaines entre août et septembre 1971, à Pinewood. Avant cela, 6 semaines de pré-production ont permis d'affiner l'idée du producteur Wilbur Stark et du scénariste George Baxt (Le Cirque des horreurs, La Cité des morts, Le Spectre du chat) -tous deux non crédités, au bénéfice de Judson Kinberg.
Robert Young voulant tourner avec de vraies chauve-souris, celles-ci s'ajoutent à un tournage animalier important : chimpanzé, panthère, tigre, le film est notable pour la variété de son casting animal. Au sein d'un numéro de cirque, les transitions qui voient se transformer une panthère en jeune homme (Emil, parent du comte Mitterhaus), sont particulièrement fluides sans nécessiter de coûteux effets.
Dans cette débauche de sang et de sexe -certes relativement inoffensive aujourd'hui-, une séquence surnage de la tête et des épaules : celle d'une danse entre un dompteur et une femme-tigre, qui miment un acte sexuel à peine déguisé. Durant quelques minutes d'une sensualité jamais vue dans un Hammer Film, les deux artistes -d'authentiques circassiens- se livrent à un jeu d'amour empreint de bestialité tout à fait affriolant. La jeune femme, peinturlurée de rayures mais totalement nue, a fait tellement belle impression que son image fut utilisée pour la promotion du film.
![]() |
Une danse sensuelle et animale |
Le film repose sur un nombre de décors restreint, pour la plupart réutilisés de précédents films (Comtesse Dracula et Les Sévices de Dracula, John Hough, 1971). Les libertés de mise en scène autorisées à Robert Young pour son premier long-métrage de fiction sont payantes : ralentis évanescents, cadrages étudiés sont là pour varier l'image. L'ambiance particulière provient aussi d'un dommage collatéral : Robert Young, ayant épuisé son planning de tournage de six semaines, demande quelques jours de plus qu'il n'obtient pas. Quelques plans manquent donc, et plongent certaines séquences dans un onirisme nébuleux, ou se posent carrément comme un obstacle à la compréhension globale de la trame scénaristique, comme la traversée du miroir, l'échappée d'un père pour chercher de l'aide ou l'identité de la maîtresse du cirque (Adrienne Corri et Domini Blythe sont en fait un seul et même personnage, ce qui a des implications particulières eut égard à leur descendance respective... mais cela reste incompréhensible à la première vision). Le reste du casting féminin s'écarte des sentiers battus -pas de Hammer Girl reconnue ou mise en avant-, et offre dans le même temps une très belle variété de présences : la Hammer Film des années 1970 est féminine avant tout ! Notons la jeune Lynne Frederick dans le rôle de Dora, qu'on retrouvera dans le Phase IV de Saul Bass (1974), ou Lalla Ward qui interprète ici Helga, sœur jumelle de Heinrich, et que les aficionados de Doctor Who reconnaissent : elle incarne Romana dans la série so british à la fin des années 1970. Adrienne Corri est très certainement l'actrice la plus renommée du film (Orange mécanique, Docteur Jivago),
Les acteurs ne sont pas en reste, avec notamment l'éternel second couteau Thorley Walters (Le Fantôme de l'opéra, Dracula, prince des ténèbres, Frankenstein créa la femme, qui joue ici un bourgmestre étonnamment joyeux alors que la tragédie guette dans le Palais aux Miroirs. Robert Tayman, dans le rôle du Comte Mitterhaus, est peu présent malgré que tous les enjeux du film se concentre sur son retour ; il devait d'ailleurs jouer le Monsieur Loyal du cirque avant un changement de script. On remarque également le massif Dave Prowse en Monsieur Muscle, lui qui sera l'impressionnante stature de Dark Vador et, bien avant cela, la créature dans Frankenstein et le monstre de l'enfer. La présence de Skip Martin, en clown triste, ajoute à l'atmosphère effrayante du film.
![]() |
Adrienne Corri |
Le Cirque des vampires sort le 30 avril 1972 au Royaume-Uni, en double-programme avec Explosion (Jules Bricken, 1969) ; une association étonnante, Explosion n'étant pas un film fantastique, et Vampire Circus étant, comme très souvent avec la Hammer, classé X (interdit aux moins de 18 ans). Aux États-Unis, le film sort aussi en double-programme, formant une paire plus cohérente avec Comtesse Dracula (Peter Sasdy, 1971). Partie intégrante du cycle gothique de la firme, le film connaîtra une sortie nationale dans les salles françaises le 23 août 1973 ; le film ne fait pas partie des grands succès du studio. Il attirera en France un peu plus de 145 000 spectateurs, bien loin du million d'entrées dépassé par Le Chien des Baskerville en 1959. Les temps ont changé mais le film bénéficie aujourd'hui d'une aura à sa juste valeur.
Le Cirque des vampires, itération singulière du vampire made in Hammer, est un des derniers beaux films de la firme dans cette décennie 70, marquant notamment par ses excès particulièrement dérangeants et un mélange des genres atypique.
Disponibilité vidéo : Blu-ray / DVD FR - éditeur : Elephant Films.
"Le Cirque des vampires" in Fantastyka n°11 / Bruce G. Hallenbeck, 1995
The Hammer Story / Marcus Hearn, Alan Barnes, 2007
L'Antre de la Hammer / Marcus Hearn, 2012
Hammer Complete / Howard Maxford, 2017
Commentaires
Enregistrer un commentaire