Jason et les Argonautes (Don Chaffey, 1963)

Jason et les Argonautes (Jason and the Argonauts, Don Chaffey, 1963) poster US

En 1963, l'âge d'or du péplum appartient déjà au passé. Le géant Cléopâtre fait un four et faillit avoir la peau de la 20th Century Fox. Pourtant, une série B mythologique, forgée par le producteur Charles H. Schneer, le spécialiste des effets spéciaux Ray Harryhausen et le réalisateur Don Chaffey, va marquer les esprits et sera reconnu comme un chef-d'oeuvre du film d'aventure et d'effets spéciaux.

Le projet émane de Harryhausen et Schneer quelques années auparavant. Ray Harryhausen, véritable créateur, est rapidement intégré dans des décisions-clés pour les films dans lesquels il intervient, devenant producteur mais également, assume parfois des responsabilités de réalisateur ; choisissant les histoires, les angles de vues, les éclairages, ... Il débute aux côtés de Willis O'Brien, génial technicien et créateur (Le Monde perdu, King Kong), et réalise d'abord des courts-métrages d'animation adaptés de contes. Le Monstre des temps perdus (Eugène Lourié, 1953) est ensuite un des long-métrages importants sur lequel il travaille, où l'on retrouve sa fascination pour les monstres préhistoriques. Mais c'est sa collaboration avec Charles H. Schneer qui va le faire connaître au plus grand nombre. L'aventure fantastique avec les Sinbad, Les Voyages de Gulliver (The 3 Worlds of Gulliver, Jack Sher, 1960) ou L'Île mystérieuse (Mysterious Island, Cy Endfield, 1961) est son terrain de jeu privilégié, comme les films de science-fiction comme Le Monstre venu de la mer ou Les Soucoupes volantes attaquent. Harryhausen trouve dans la mythologie un bestiaire foisonnant, à la mesure de son ambition.

Charles H. Shneer et Harryhausen choisissent la légende de Jason, un voyage à la rencontre de nombreux monstres (les harpies, le massif Talos, l'Hydre, …) qui possède un objectif clair et empreint de magie. Jason, pour reprendre le trône au traître et meurtrier Péléas, entreprend, avec une équipe de valeureux compagnons, de partir à la recherche d'un artefact mythique aux confins du monde : la Toison d'Or, qui apportera paix et prospérité au peuple de Thessalie. Le projet est validé par la Columbia en décembre 1960. La réalisation est confiée au britannique Don Chaffey, qui œuvra pour la Hammer Film dans l'aventure préhistorique notamment (Un Million d'années avant J.C., 1966, Violence et sexe aux temps préhistoriques, 1971) ; on peut arguer que Jason... constitue son plus grand film.

Comme à l'accoutumée, Ray Harryhausen s'adjoint les services de son père, Frederick, qui fabrique les armatures nécessaires, d'après les designs de Ray. Harryhausen père met quatre mois à construire les ossatures métalliques, laissant à Ray ce délai pour construire et peindre les les figurines avant de pouvoir passer à la phase d'animation. Harryhausen réutilise ici la technique publicisée par la Columbia sous le terme Dynamation. Entre les scènes incluant les créatures mythologiques, les transparences et autres trucages optiques, le film est un festival d'effets en tous genres. Malgré une restauration 4K par les équipes de Sony en 2010, le procédé de fabrication des effets se traduit par une texture argentique épaisse, le film repassant plusieurs fois au tirage avec les caches et contre-caches qui permettent aux créatures d'intégrer les prises de vues réelles. La finesse d'animation de Harryhausen donne une âme à ces personnages d'argile, transcendant les limites techniques.

Talos dans Jason et les Argonautes (Jason and the Argonauts, Don Chaffey, 1963)
Talos fait fuir Jason et ses compagnons d'aventure

Par la variété de ses situations et son rythme, Jason… est certainement le film le plus équilibré de Harryhausen, dans lequel ses créations s’accommodent le mieux avec le récit. Pour autant, le périple linéaire paraît un peu rigide, l'odyssée en mer alternant systématiquement avec la découverte d'un territoire et d'une nouvelle créature. Harryhausen a toujours été séduit par les contes (ses adaptations de Rapunzel, Le roi Midas ou encore Hansel et Gretel sont d'ailleurs ressortis sur les écrans en 2018 puis en Blu-ray / DVD chez Carlotta). Leur forme pédagogique et leur finalité morale convient bien au type de récit qui a sa préférence. Dans Jason, les enjeux sont plus relevés, traitant par exemple de la remise en question de la croyance aux dieux (même si, paradoxalement, leur existence est un fait dans le péplum mythologique). Certains séquences donnent aussi un côté plus adulte au film, comme la découverte du point faible de Talos.

Talos reste une des créations les plus charismatiques du bestiaire d'Harryhausen avec la créature aquatique du Monstre vient de la mer (It Came from Beneath the Sea, Robert Gordon, 1955), alors que l'hydre est peut-être la moins efficace. Le film a évidemment gagné ses galons de classique grâce à la bataille entre les argonautes et une bande de squelettes récalcitrants, nés des crocs de l'hydre. Une séquence virtuose, se déroulant de plus en plein jour : les effets (et leurs défauts) sont d'autant plus visibles. Bien sûr, ce n'est pas la seule séquence marquante, loin de là : citons le sauvetage de l'Argo par Triton, ou le réveil de Talos et son aspect si réaliste, notamment les teintes du métal verdi par l'oxydation. Plus qu'une prouesse technique, le film exalte d'un désir puissant d'aventure et d'exploration de contrées étranges. La réussite la plus flamboyante de Harryhausen, sans doute.

Dans tout le cinéma fantastique des années 60, difficile de trouver plus marquant : les imaginaires de Peter Jackson, James Cameron ou Tim Burton ont tous été façonnés par ce film unique.

Disponibilité vidéo : Coffret Blu-ray + DVD + livre - éditeur Sidonis

Sources bibliographiques : 
Ray Harryhausen: An Animated Life
, cité dans un article du Guardian
Suppléments de l'édition Blu-ray Sidonis
Ray Harryhausen, le magicien de la Dynamation / Pascal Pinteau in L'Écran Fantastique Vintage n°8 (janvier 2022)

Jason et les Argonautes (Jason and the Argonauts, Don Chaffey, 1963) title still

Commentaires