Les Inconnus dans la ville (Richard Fleischer, 1955)

Les Inconnus dans la ville (Violent Saturday, Richard Fleischer, 1955) poster

Les Inconnus dans la ville (Violent Saturday) est une grande réussite de Richard Fleischer ; un des fleurons du film de braquage, auquel s'ajoute un mélodrame dans le plus pure tradition hollywoodienne.

Violent Saturday est un véritable défi narratif, un coup de force esthétique, en même temps qu'un modèle d'économie, emmené par un casting idéal. Et, grâce à la fois au réalisateur, au scénariste et au acteurs, un film constellé de petits moments qui en disent beaucoup sur ses personnages.

Modèle d'économie, le film nous le prouve dès son entame, dénuée de dialogues durant une bonne dizaine de minutes. On y découvre une petite ville minière et son commerce principal, l'extraction de cuivre. D'abord relativement silencieux, le paysage subit un véritable coup de tonnerre lorsque apparaît l'écran-titre, au son des explosions à la dynamite destinées à fracturer la roche. L'espace, immense avec ses grandes carrières, ressemble au décor d'un western ; et l'affrontement final sera tout à fait digne de l'un d'eux. Si le début du film est marqué par son absence de dialogue, le reste est au diapason : économie de mots, mais pas économie de sens.

Les personnages s'y affirment par des gestes plutôt que par de longs discours. Lee Marvin, le sadique membre du gang qui projette un braquage, est caractérisé dès sa première scène par son inhalateur, qu'il n'arrête de se fourrer dans le nez. Son chapeau bleu, impeccable et invariablement vissé sur la tête, est aussi caractéristique. Le plus âgé du gang est, lui, assez quelconque mais donne l'impression d'être plutôt gentil. Il s'arrêtera ainsi plusieurs fois dans le film pour donner des bonbons aux enfants qu'il croise sur sa route. Victor Mature, dont le personnage n'a pas eu les honneurs de la guerre, n'est pas révéré par son garçon, qui rêve son père en héros. On le comprend par un élément simple : la décoration du père (en fait une sorte de diplôme qu'il a accroché au mur) est cassée.  Le personnage de Victor Mature n'aura ainsi de cesse, durant tout le film, d'essayer de gagner la fierté de son fils.

Défi narratif, le film l'est d'abord parce qu'il mêle plusieurs histoires qui vont converger : le braquage d'une banque, une histoire d'adultère, deux romances manquées, le désespoir d'une bibliothécaire -jouée par la belle Sylvia Sydney, et la vie isolée d'une une famille d'Amish -le patriarche est interprété par Ernest Borgnine. Toutes ces histoires s'appuient sur une galerie de personnages forts -chacun a ses petits moments qui décrivent leur vérité, leurs angoisses et tracent leur possible destinée...- qui occupent le devant de la scène, puis le rapport s'inverse dans la dernière partie du film, où l'action du braquage et ses conséquences reprennent l'avantage. Toutes ces petites histoires sont réglées en 1h30, ne laissant personne de côté ! La dimension morale, punissant chaque péché par une sanction, est même le seul vrai défaut qu'on pourrait trouver à Violent Saturday. Dans le même temps, le scénario permet à tous les personnages (sauf celui de Victor Mature) d'être ambivalents : ainsi, ceux présentés comme la norme ont chacun leurs vices, et parmi les gangsters ont des manières tout à fait policées : ainsi, ils ne se différencient extérieurement des habitants de la petite bourgade ; tout un chacun est un "inconnu dans la ville".

Enfin, Violent Saturday est un achèvement esthétique ; tourné dans le CinemaScope des origines (format très large 2.55:1), le film bénéficie de cadrages composés de façon impeccable. Fleischer et son chef opérateur Charles G. Clarke font des merveilles : le regard pioche à chaque endroit du cadre des informations importantes, et quasiment chaque plan dispose d'une idée de mise en scène stimulante. Les plans-séquences permettent de multiples compositions du plan dans la continuité, qui sont organisés avec une fluidité rare. Fleischer tourne très peu en gros plans, imprimant une distance idéale avec les événements, et donnant à voir les échanges de regards, les directions des personnages de façon très claire. Le rythme qui en découle est idéal, épousant les cadences propres des personnages, parfois ralentissant, parfois accélérant jusqu'à un affrontement final qui tient toutes ses promesses. Mature y devient un chef de résistance crédible, défendant la ferme assiégée des Amish. Cette séquence très westernienne clôt admirablement un grand moment de cinéma, et l'on aime à rappeler que Richard Fleischer, tellement plus qu'un bon artisan, a façonné ici un point culminant du film de braquage.

Disponibilité vidéo : Blu-ray / DVD FR - éditeur : Carlotta Films

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