La Cinquième victime (Fritz Lang, 1956)

La Cinquième victime (While the City Sleeps, Fritz Lang, 1956) film poster


Wild Side Video gâtait vraiment son public avec ce double programme consacré à Fritz Lang, comme ce fut déjà le cas pour la première -et, devrais-je dire, historique- livraison de leur collection Classics Confidential ; cette dernière était consacrée à deux films jumeaux de Lang, La Rue rouge et La Femme au portrait, deux films avec Edward G. Robinson. 

Même schéma pour La Cinquième victime et L’Invraisemblable vérité, deux films de Lang avec un acteur commun : Dana Andrews, habitué des films noirs qu'on a pu voir dans l'excellent Laura (Otto Preminger, 1944) ou encore Mark Dixon, détective (Otto Preminger, 1950), et dans un western bien particulier, L'Étrange incident (William Wellman, 1943).

Un livre de Bernard Eisenschitz accompagne cette belle édition. L'auteur est notamment un spécialiste de Fritz Lang ; il a publié aux Cahiers du Cinéma un monumental livre sur le réalisateur, Fritz Lang au travail. Approfondissant le travail méticuleux déjà effectué, il retrace ici quasiment jour par jour le tournage des deux films. Au menu également, documents photographiques d'époque, dossier de presse ; bref, une somme.

La Cinquième victime (While the city sleeps, à ne pas confondre avec Quand la ville dort - The Asphalt Jungle de John Huston) a les atours d'un film mineur de Lang ; on se situe dans sa fin de carrière aux États-Unis, où il n'a jamais eu la même aura qu'en Allemagne. La Cinquième victime va tout de même au-delà des apparences. On pense d'abord que le sujet est la traque d'un tueur en série, qui rappellerait l'exceptionnel M le maudit du même réalisateur. Or, le métrage se révèle beaucoup moins polar que film de société, où est dépeint avec acidité le monde de la presse. La course au scoop, les guerres d’ego entre rédacteurs, présentateurs, chef de groupe (Vincent Price, qui se livre une performance de marionnettiste faussement low-profile)... 

Le journalisme à sensation, là est le cœur de La Cinquième victime ; le monde de la presse est aussi décrit avec férocité dans L'Inexorable enquête (Scandal Sheet, Phil Karlson) en 1952 ; on peut également penser au Grand chantage d'Alexander MacKendrick (Sweet Smell of Success, 1957). Vincent Price lance un défi à ses employés : trouver en premier le meurtrier en série qui sera surnommé Le tueur au rouge à lèvres (the lipstick killer). L'affaire est inspirée d'une histoire vraie, romancée dans un roman de gare. Mais le film ne s'y intéresse que sporadiquement, presque comme un McGuffin : une fois le criminel arrêté, on en entend plus parler : son procès, sa possible exécution... Tout ça passe à la trappe. 

Ida Lupino, Fritz Lang et Dana Andrews sur le plateau de La Cinquième victime (While the City Sleeps, 1956)
Ida Lupino, Fritz Lang et Dana Andrews sur le plateau


Le microcosme du journalisme est bien illustré par une belle galerie d'acteurs, de Dana Andrews, qui n'a pas trop de mal à jouer les alcooliques -il était malheureusement addict à cette époque), à George Sanders (que Lang avait déjà fait jouer dans Les Contrebandiers de Moonfleet-, en passant par la vénéneuse Rondha Fleming. Car, autre corde à l'arc de Lang, les histoires de cœur tiennent également le devant de la scène, entre Dana Andrews et sa fiancée, puis Vincent Price et sa femme. Infidélité, mensonges, tromperies, mais aussi coïncidences heureuses (la fiancée de Dana Andrews refuse d'ouvrir au tueur, pensant que c'est son homme qui revient à la charge) sont de la partie, et tisse une toile plus complexe qu'il n'y paraît.

Même si l'aspect visuel est assez classique (préférez tout de même la version démattée en 1.33 proposée en supplément sur le disque, plus que celle en écran large diffusée au cinéma), on est bluffé le temps d'une séquence magistrale où le présentateur Mobley (Andrews) fait face au tueur par l'intermédiaire d'un écran de télévision. Le tueur, en spectateur, se croit protégé ; il chancelle néanmoins à l'annonce de la description du tueur que fait Mobley, qui lui correspond point par point. À ce sujet, la remarque sur les comics (tu es jeune, tu es un tueur, donc tu lis des comics) fait tout de même un peu tache. C'était certes dans l'air du temps de lier les deux pratiques, établies par les écrits controversés d'un psychologue titrés Seduction of the innocent. Le tueur qui dessine lui-même son auto-portrait sur son portrait robot dévoilé dans le journal, ou encore la vision de l'ombre voluptueuse de la femme de Walter Kyne à travers un paravent sont les autres très bonnes idées de mise en scène du film.

Feu la collection Classics Confidential attirait l’œil sur ces œuvres considérées comme mineures qui, éclairées d'un jour nouveau (et par une plume toujours talentueuse), prennent toute leur valeur. La Cinquième victime ne fait pas exception à la règle, et bénéficie de plus d'un des meilleurs livres de la collection. Comment y résister ?

Disponibilité vidéo : édition zone 2 FR - éditeur : Wild Side Video (édition malheureusement épuisée...). Blu-ray zone All - éditeur : Warner Archives (sous-titres anglais uniquement).

 

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