Les Pirates du diable (Don Sharp, 1964)

 Les Pirates du diable (The Devil-Ship Pirates, Don Sharp, 1964)) US title card


Des pirates espagnols, menés par le capitaine Robeles (Christopher Lee) et temporairement ralliés à l'Armada espagnole, accostent en Angleterre pour réparer leur bateau, abîmé par leur affrontement perdu contre la marine britannique. Ils font cependant croire aux villageois qu'ils ont remporté la bataille et que l'Angleterre est aux mains des espagnols. La résistance s'organise...

Le film d'aventure n'a jamais été le fonds de commerce de Hammer Film. Cependant, dans un souci de diversification des publics et de sources de revenus, certaines de leurs productions sont destinées à un public plus large (au classement "U", sans restriction, contre "X", interdit aux moins de 16 ans, bien plus largement présent dans leur catalogue). Hammer produit ainsi plusieurs Robin des Bois comme Le Serment de Robin des Bois (Sword of Sherwood Forest, Terence Fisher, 1960), des aventures exotiques tel La Déesse de feu (She, Robert Day, 1960) d'après Henry Rider Haggard, et des films de piraterie. En 1962, L'Attaque de San Cristobal (The Pirates of Blood River, John Gilling) est un vrai succès pour Hammer, et satisfait à l'objectif de proposer un film pour la famille à l'été 1962... mais a contre lui de ne pas posséder de navire en dur : la production en est réduite à utiliser des stock-shots d'autres films.

Le bateau du film Les Pirates du diable (The Devil-Ship Pirates, Don Sharp, 1964)
Le fier navire des Pirates du diable à la destinée éphémère

Pour Les Pirates du diable (The Devil-Ship Pirates), vrai bateau il y aura. Investissant la coquette somme de 17 000 livres sterling, Hammer fait construire un vaisseau superbe et l'installe dans une carrière remplie d'eau, à proximité des studios de Bray. Le studio compte bien rentabiliser sa mise en l'utilisant pour de futures productions. Peine perdue : le beau brick va s'effondrer sous son propre poids à la fin d'une journée de tournage, pendant le "tea break". Dès lors, la fin du film, qui prévoit l'incendie et le naufrage du bateau en montrant une maquette, verra la destruction réelle du navire, dans un festival de flammes.

Christopher Lee, loin de son rôle de la créature dans Frankenstein s'est échappé ! (The Curse of Frankenstein, Terence Fisher, 1957) ou de Dracula, est un capitaine félon dans The Devil-Ship Pirates, et met à profit sa maîtrise de l'escrime dans quelques combats. Il retrouvera d'ailleurs le réalisateur Don Sharp pour Le Masque de Fu Manchu ou le très bon Raspoutine, le moine fou. D'ailleurs, si le naufrage réel du vaisseau est l'élément le plus marquant du tournage, on peut également noter que Jimmy Sangster tient une petite revanche. Sur L'Attaque de San Cristobal, dans lequel Christopher Lee incarnait déjà un pirate peu amène, la caractérisation du personnage et ses dialogues avait été adoucis par le réalisateur John Gilling. Or ici, Sangster a eu les coudées franches pour dépeindre Robeles en véritable salaud, qui n'hésite pas à tirer dans le dos et à mettre ses terribles menaces à exécution. Comme on pouvait se l'imaginer, Christopher Lee offre une prestation royale dans ce rôle.

Christopher Lee et Barry Warren dans le film Les Pirates du diable (The Devil-Ship Pirates, Don Sharp, 1964)
Christopher Lee, Barry Warren

Des têtes habituées du studio sont de la partie : Andrew Keir (qui rempile, tout comme Lee, après L'Attaque de San Cristobal), Suzan Farmer, déjà au générique de L'Épée écarlate (The Scarlet Blade, John Gilling) l'année précédente, ou encore l'inusable Michael Ripper, qui a dû jouer tous les seconds rôles possibles dans la filmographie du studio.

Les Pirates du diable n'est pas un film de pirates comme les autres, d'abord parce qu'il se situe intégralement sur la terre ferme ; le budget modeste du film en est évidemment responsable, mais le scénariste Jimmy Sangster tourne cette contrainte à son avantage. Le film n'est ni plus ni moins qu'une prise d'otages à ciel ouvert, dans laquelle un rapport de force s'opère entre les geôliers (Robeles et son équipage) et leurs prisonniers (les villageois) ; Sangster indique avoir pris modèle sur la structure de La Maison des otages de William Wyler, ce dont il ne s'était déjà pas privé pour L'Attaque de San Cristobal. Le récit est habilement construit, sans temps mort à partir de cette mise en place. Le film est aujourd'hui peu connu et rare : il mérite amplement d'être découvert.

Le héros n'est pas particulièrement éclatant : sur le papier, il s'agit de Harry (John Cairney), un homme manchot qui sauve sa sœur Jane des marais mouvants et mène la rébellion avec son père Tom (Andrew Keir). L'acteur n'aura pas une grande carrière cinématographique, même s'il apparaît l'année précédente dans Jason et les Argonautes. Le lieutenant de Robeles, Manuel (Barry Warren), doutant de la stratégie du chef, a une stature plus remarquable. D'autre part, on retrouve dans Les Pirates du diable une critique mordante des élites avec Sir Basil (Ernest Clark), ce notable pressé de se soumettre au premier envahisseur venu. Même en ayant connaissance de l'imposture de Robeles, il préfèrera ne rien faire par peur de l'échec.

Suzan Farmer, Christpoher Lee et Ernest Clark dans dans le film Les Pirates du diable (The Devil-Ship Pirates, Don Sharp, 1964)
Suzan Farmer, Christopher Lee et Ernest Clark

Tourné entre août et octobre 1963, le film sort sur les écrans britannique le 9 août 1964, en double programme avec Les 7 invincibles d'Alberto de Martino (réalisateur italien prolifique dans le cinéma de genre, il signera Django tire le premier, L'Antéchrist ou encore Holocaust 2000). Les spectateurs américains découvrirent le film plus tôt, à partir de mai 1964, cette fois accompagné du film Hammer L'Épée écarlate. Ils ont dû y reconnaître le décor du village, construit pour L'Épée écarlate et réutilisé par Les Pirates du diable. Quoi qu'il en soit, les deux sorties furent tout à fait profitables pour Hammer Films, qui récidiva avec Le Rebelle de Kandahar, qui débuta son tournage en octobre 1964. Le film ne resta pas dans les mémoires, mais ceci est une autre histoire.


Sources bibliographiques :

Hammer Complete / Howard Maxford
Hammer Film, An Exhaustive Filmography / Tom Johnson, Deborah Del Vecchio
Livret de l'édition Blu-ray UK / Neil Sinyard

Disponibilité vidéo : Blu-ray / DVD UK - éditeur : Network (sous-titres anglais uniquement)


Les Pirates du diable (The Devil-Ship Pirates, Don Sharp, 1964) image-titre du film

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