Goyokin, l'or du Shogun (Hideo Gosha, 1969)
1831, ère d'Edo. Le peuple vit sous le joug du shogun, qui règne sur une organisation très hiérarchisée : les samouraïs, tel des hommes de main, prêtent allégeance à des seigneurs, lesquels opèrent sous les ordres du shogun. Le Japon vit alors une période féodale très autoritaire.
Magobei (Tatsuya Nakadai, possédé), samouraï, ancien membre du clan Sabai, a autrefois refusé de participer à une action détestable voulu par Rokugo (Tetsuro Tanba, excellent), son seigneur, guidé par l'appât du gain. Cela fait de lui un paria, mais, au contraire de ses anciens comparses, il a le sens de l'honneur ; s'opposant au clan Sakai, il va tout faire pour que cet événement traumatique ne se reproduise pas.
Le film débute par une séquence qu'on
pourrait qualifier d'épouvante, où une jeune femme, rentrant chez elle,
découvre un endroit désolé, envahi par des nuées de corbeaux, emplissant
le ciel de leur ténébreux croassement. Les tissus sont éventrés, les
alentours déserts : la trentaine de pêcheurs qui habitaient le village
ont disparu. Depuis lors, on les appelle les "enlevés des dieux", et
Oriha, la jeune fille l’épargnée des dieux. Un arrière-plan mythologique
se tisse alors, comme si des forces invisibles présidaient aux
destinées des pauvres mortels. Comme on l'a vu plus haut, il n'en est
rien : la cupidité des hommes est la seule responsable.
Tatsuya Nakadai, Tetsuro Tanba |
L'originalité du film est de situer son
intrigue en hiver, les paysages étant donc constamment nimbés d'une
lumière aveuglante et d'un tapis neigeux immaculé. Et, lorsque la neige
s'efface, elle laisse place à une boue qui souille toute personne qui
s'y aventure... On dit souvent que les films de samouraïs sont au Japon
ce que les westerns sont aux États-Unis : l'illustration de leur propre
histoire. Grand amateur de western, Hideo Gosha place Goyokin
(aussi connu avec le sous-titre La terreur des Sabaï) dans la filiation de westerns, mais non des westerns américains. Il
faut plutôt chercher du côté des westerns italiens, en l’occurrence ceux
de Sergio Corbucci (Django, 1966, ou Le Grand silence,
1968), qui partagent cette atmosphère crépusculaire. Le personnage
principal, mutique et solitaire, est également inspiré des westerns de
Sergio Leone, premiers avatars d'une longue série. La construction du
film, insérant un flash-back au milieu du film qui révèle la véritable
teneur de cette "malédiction des dieux", se retrouve aussi dans le
western italien, aux personnages torturés, marqués par un traumatisme
initial.
Tatsuya Nakadai, Yōko Tsukasa |
Au-delà des influences, Goyokin
éblouit par sa forme, en tous points sublime. Le travail sur la lumière
et les éclairages, mené de main de maître par le directeur de la photo
Kozo Okazaki. la composition des plans, et cet éclairage souvent très
ciblé (voir les scènes en intérieur entre Magobei et sa femme), fait de Goyokin
un véritable poème visuel. Le montage est aussi travaillé : flash-back,
et et même un flash-forward très réussi (la séquence de la danse des
masques à la toute fin du film) composent un ensemble très travaillé,
au service de l'histoire contée. Composante aussi réussie, la
musique du film, créée par le grand Masaru Sato. Il a auparavant
accompagné de sa partition les films de Kurosawa (La Forteresse cachée, Barberousse),
et devenu un fidèle de Gosha. Ses mélodies, fleurant bon l'aventure,
rappellent les musiques d'Ennio Morricone, mais préfigurent également
certains airs de Basil Poledouris pour Conan le barbare
(John Milius, 1982). Elle offre un contrepoint au pessimisme de
l'ensemble, soulignant l'humanisme de Magobei ; et achève de faire du
film une réussite à tous les points de vue.
Hormis le personnage central, ceux qui gravitent autour de lui sont tous remarquablement interprétés, écrits et caractérisés : que ce soit l'infâme Rokugo, la rescapée Ohira, la femme effacée de Magobei, ou l'ennemi devenu compagnon d'armes, ils existent tous, dans toutes leur essence romanesque. Aucun personnage n'est laissé de côté et chacun a sa séquence.
Les spectateurs français découvrirent le film bien après son pays natal, en janvier 1974. Le regard enfiévré de Tatsuya Nakadai
hantera longtemps celui qui s'aventure sur les terres désolées
de Goyokin ; il s'agit tout simplement d'une date, non seulement dans l'histoire du film de sabre, mais dans celle du cinéma mondial.
Disponibilité vidéo : DVD zone 2 FR - éditeur : Wild Side Vidéo (épuisé).
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