Devine qui vient dîner (Stanley Kramer, 1967)

Devine qui vient dîner (Guess who's coming to dinner, Stanley Kramer, 1967) US poster

Le titre du film de Stanley Kramer, en forme de question malicieuse, joue sur la surprise que va provoquer le retour dans sa famille d’une jeune femme blanche, décidée à épouser un brillant médecin noir. Or, dans l’Amérique de 1967, même les citoyens les plus progressistes semblent avoir de grandes difficultés à concevoir un tel acte.


Disons tout d’abord que, si le film fonctionne encore aujourd’hui, il le doit moins à sa pure forme cinématographique que tout ce qui se cristallise autour de lui-même. Tout d’abord, 1967 est clairement l’année de Sidney Poitier, celle qui le voit consacré star au même rang qu’un Steve McQueen ; un véritable phénomène, avec la sortie coup sur coup de Dans la chaleur de la nuit (In the Heat of the Night, Norman Jewison) et de ce film-ci. Au milieu d’un mouvement que rien ne semble arrêter, Poitier incarne la modernité d’un monde en plein bouleversement, surmontant les questions raciales qui cloisonnent les gens en ce temps-là. Presque trop parfait, faisant à chaque plan étalage d’une classe folle et du nombre minutieusement choisi des mots qu’il emploie, il est simplement le centre de gravitation de tout le métrage. Plus que l’acteur, on a l’impression de voir l’homme à l’œuvre. Le cinéma de Stanley Kramer est souvent une œuvre à message, comme c'est le cas ici (tel La Chaîne, 1958, sur le racisme, Le Dernier rivage, 1959, sur le risque nucléaire, ou Jugement à Nuremberg, 1961). Son dernier film, La Théorie des dominos (1977), plaçant l'homme seul contre un système corrompu, est autant en adéquation avec son œuvre passée, qu'avec le cinéma paranoïaque américain des années 70.

Autre grande trouvaille du film qui fait sa valeur aujourd’hui, retrouver le couple Spencer Tracy - Katherine Hepburn, qui, à l’écran comme à la ville, a toujours fasciné par sa modernité (au cinéma, rappelons-nous d’un Madame porte la culotte, démontrant bien un changement des mentalités en marche). Notons que Tracy et Hepburn ne furent jamais mariés, malgré l’évidence de leur relation ; autre signe de modernité pour l’époque. C’est le jeu entre réalité et fiction que j’ai particulièrement goûté ici, notamment sachant que Spencer Tracy vit ses dernières heures sous nos yeux -il mourra de maladie quelques jours après la fin du tournage- et que ses échanges de regards avec Hepburn, qui a toujours la larme à l’œil, sont déchirants. Pas étonnant que la performance de cette dernière ait touché les jurés de différentes grandes cérémonies (Oscars et BAFTA), qui adorent en plus quand cette vie réelle se reflète dans le film (Tracy a même reçu le BAFTA posthume). Cerise sur le gâteau, leur fille dans le film, jouée par Katherine Houghton, est la nièce d’Hepburn. Le film tourne carrément à l’histoire de famille.

Le plaidoyer est en effet plus ou moins gagné d’avance, avec ce docteur Prentice (Poitier), parfait, plus âgé que la jeune fille, plus mature et prenant d’infinies précautions dans ses rapports avec son entourage : c’est bien simple, il ne rate rien.

Prenant pour cadre la maison du couple des parents blancs, on va assister à une rencontre au sommet entre les deux couples de parents, le vieux pasteur, qui est un ami de la famille, mais occupe bien son rôle de "voix de la religion", et au milieu desquels la jeune fille empressée, plus ou moins à l’origine de tout ce chambardement, est plutôt effacée. Le combat a lieu ailleurs. Ah oui, on oubliait : le film se concentre sur un peu moins d’une journée, le délai de réflexion devant être très court pour tout le monde car le docteur, très connu, est attendu ailleurs. C’est donc la course. Le film prend, dans sa dernière partie, une tournure qu’on pourrait tout à fait imputer au genre du film de procès, où, l’un après l’autre, les différents personnages donnent leurs avis sur la décision à prendre. Et, en grand patriarche détenteur de l’avis-clé, sans lequel le bon Sidney Poitier ne saurait finalement consentir à épouser sa mie, Spencer Tracy nous déclame une leçon de tolérance, plaidoirie qui met tout le monde d’accord. 
 
Distribué par Columbia Pictures aux États-Unis, le film sort idéalement le 11 décembre 1947, et le succès, tant critique que public, est au rendez-vous. Produit pour 4 millions de dollars, il rapportera 14 fois sa mise, à hauteur de 56 millions de l'époque, juste sur le territoire nord-américain.

Devine qui vient dîner marque donc l’évolution des mentalités même si, aujourd’hui, la façon dont il procède est dépassée, malgré l’exception Poitier ; la réalisation reste centrée sur des champ/contre-champs de visages en gros plan qui, combiné avec l’unité de temps et de lieu, font très théâtre filmé. Le film a sa valeur, clairement plus sociologique que cinématographique, et marque encore aujourd’hui, tant son discours reste brûlant d'actualité.

Disponibilité vidéo : Blu-ray / DVD - éditeur : Sony Pictures

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