Conversation secrète (Francis Ford Coppola, 1974)
Réalisé entre les deux Parrain, The Conversation
est une œuvre marquante, révélatrice du climat de défiance des
américains envers leurs propres dirigeants. Elle trouve une place de choix à l’intérieur du corpus d’œuvres relevant du thriller
politique à tendance paranoïaque, qui feront tout le sel des productions
indépendantes américaines de cette époque : la trilogie de Alan J. Pakula (Klute, 1971, À cause d’un assassinat, 1974, Les Hommes du Président, 1976) en premier lieu, puis Les Trois jours du condor
(Sydney Pollack, 1975). Des films magistraux et souvent froids, qui
détaillent avec une précision chirurgicale les rouages truqués de
structures monumentales et labyrinthiques. À l’intérieur de ces univers
en vase clos, l’homme se débat contre lui-même et l’exercice de sa profession, qu’il découvre contraire à son éthique
personnelle. Se dessine alors un portrait de l’aliénation, physique et
(surtout) mentale, dont les personnages, s’ils y survivent, n’en sortent
pas indemnes.
Ici, Harry Caul, professionnel freelance
des écoutes clandestines, va suivre un couple dont il peine d’abord à
déchiffrer les échanges, apparemment banals. Puis, la pression se
faisant sentir (par le commanditaire de l’enregistrement, interprété par
Robert Duvall et surtout son assistant, joué par le jeune Harrison
Ford), il se prend à imaginer un complot, ourlé au plus haut niveau de
l’entreprise ; son intérêt tournant rapidement à l’obsession, rien ne
compte désormais plus que mettre au jour ce système fantôme.
Le film préfigure avec quelques années d’avance
(le tournage s’est déroulé à partir de fin 1972) le scandale du
Watergate et des écoutes téléphoniques, qui pousseront logiquement Nixon
à la démission. La première séquence est déjà remarquable, la caméra
offrant une plongée sur une place très fréquentée d’un centre-ville.
Intrigué, le spectateur ne perçoit pendant quelques minutes que des
bruits inintelligibles en lieu et place des conversations ; des distorsions
électroniques déforment toute parole. Puis, la caméra se rapprochant,
dans un léger zoom, des passants, on commence à saisir que le son de la
séquence, s’il provient réellement de la captation des dialogues par un
dispositif élaboré de micros, n’est pas celle de la régie son du
tournage, mais bien celle des personnages qui sont pour partie dans une
filature aussi délicate (la place est bondée et les micros sont la
plupart loin de la cible, ce qui justifie cette captation défaillante)
qu’incongrue (le couple marche et se raconte des banalités). Cette
première séquence est exceptionnelle dans la lecture qu’elle donne du
processus cinématographique, comme ce sera le cas sur toute la longueur
du film. On a saisi l’analogie preneurs de son-personnages, tout comme
on comprendra vite que le couple en question joue littéralement la
comédie, comme des acteurs qui répètent sans cesse leur texte. Ils font
inlassablement le tour de la place, répètent les mêmes choses, et
improvisent des réactions : "Ris, comme si j’avais fait une bonne blague",
dira un moment la jeune femme à l’adresse de son compagnon. Ce jeu sur
les apparences aura tôt fait d’intriguer Harry Caul, le poussant dans
une paranoïa aigüe déjà bien installée par son métier.
Le
cinéma de Coppola est ici particulièrement impressionnant dans sa
capacité à épouser la thématique qu’il illustre. Harry Caul, obsédé du
contrôle, va ainsi, le temps d’une scène (le salon des innovations),
prendre la place du réalisateur en contrôlant une caméra télécommandée,
ainsi qu’une table de montage lui permettant d’alterner les vues avec
plusieurs autres caméras : il utilise le procédé, au début pour tester
le dispositif, passant d’un gros plan de son visage à un panoramique
latéral, pour ensuite espionner la personne qui semble le suivre. Se
servant de ces astuces professionnelles pour mener à bien son enquête (à
des fins toutes personnelles, celles-là), il s’abîme dans des
décryptages sonores qui mettront à mal sa perception de la réalité.
Ainsi, dès qu’il commence à être dans le flou, il le devient
littéralement par l’interposition d’un voile plastique tendu entre lui
et la caméra ; ou alors, comprimé dans des perspectives écrasante dès
lors qu’il pénètre dans l’entreprise qui lui a commandité le fameux
enregistrement, il est déjà pris dans l’étau bien avant d’en avoir
conscience.
On voit beaucoup de points communs entre cette obsession du détail et celle dont fait preuve David Hemmings dans Blow-Up (1967), et plus tard dans l’hommage/variation brillant qu’en livre Brian De Palma dans son Blow Out (1981). Avec la sensation d’arriver, petit à petit, au plus près du mystère, le personnage s’éloigne finalement du sens, de la quête d’une Vérité... bien illusoire. Le personnage s'enferme à jamais dans une réalité parallèle, où le complot dont il s'échine à prouver l'existence n'est pas plus tangible qu'un bruit que personne d'autre n'entend.
26 secondes, l’Amérique éclaboussée : L’assassinat de JFK et le cinéma américain / Jean-Baptiste Thoret, Ed. Rouge Profond, 2003 (épuisé, à consulter peut-être dans une médiathèque près de chez vous ?).
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