L'Invraisemblable vérité (Fritz Lang, 1956)
Ce point de départ, assez invraisemblable en effet, fait du film non pas un polar, comme cela pourrait être le cas, mais démonte bien le mécanisme de falsification de pièces à convictions, comme un modèle inversé du film policier, où l'accent est généralement donné sur la recherche de preuves par une figure de l'autorité : flic, détective, inspecteur d'assurances, etc. La Cinquième victime partage donc aussi cet aspect faussement policier pour évoquer un autre sujet. Ici, les longues séquences qui voient le complice de Garrett prendre les photos des preuves falsifiées pour composer son dossier de demande de grâce une fois que Garrett sera inculpé puis condamné, fait montre du mécanisme machiavélique apparemment bien huilé qu'utilisent les deux compères. Ainsi, ils démontreront peut-être que le système d'inculpation de la justice américaine, en se satisfaisant de preuves indirectes fait que "beyond a reasonable doubt" - titre original du film, "au-delà de tout doute raisonnable", un accusé peut être condamné injustement.
Les ponts entre les deux films ne s'arrêtent pas là : on se souvient que le couple amoureux laissait sonner le téléphone dans le dernier plan de La Cinquième victime. Dans une de leurs premières scènes communes, Tom Garrett (Dana Andrews) et Susan Spencer (Joan Fontaine) sont face à un téléphone qui sonne, pour cette fois y répondre ; leur couple va alors être mis à mal par l'aventure supposée de Garrett avec une jeune femme.
Dana Andrews, Joan Fontaine |
La volonté de Garrett durant le film est difficilement compréhensible, alors qu'il s'embourbe dans une affaire dont il ne peut sortir indemne ; on sent ici poindre l'ombre du film noir, bien plus que dans La Cinquième victime. Même avec les informations que le spectateur recueille, sa volonté ne peut être comprise que comme une pulsion sacrificatrice, et/ou masochiste. De plus, son proche mariage avec Susan devrait en faire un heureux homme : or, la passion n'a pas l'air d'être au rendez-vous. Le film se focalise également sur le jeu des apparences, et comme on le sait, elles sont souvent trompeuses. Alors, même si l'on devine rapidement un des événements majeurs du film (le seul détenteur de la vérité meurt accidentellement en emportant ses secrets avec lui), les méandres de l'intrigue -qui, dans le dernier quart, prend la forme d'un film de procès- nous révèlent quelques surprises.
Comme le relève justement Bernard Eisenschitz dans le fabuleux livre proposé en complément, toute la valeur du film se situe dans l'écart entre ce qui est montré au spectateur, et ce qu'il ne sait pas. Ainsi, certains révélations faites par l'accusation lors du procès viendront soit conforter le savoir du spectateur, ou alors il se satisfera intégralement des réponses apportées par Garrett. Le cheminement pour arriver à la vérité reste tortueux, pour au final justifier une institution que Lang semble tout de même accuser, étant lui-même totalement opposé à la peine de mort, comme le personnage de l'éditorialiste complice de Garrett.
Si l'on ne révèlera pas la fin du film, tout au moins puis-je avancer qu'elle préfigure les films à twists qui étaient fort peu répandus au milieu des années 50 ; dans le même temps, le procédé peut sembler malhonnête, allant à l'encontre de tout ce qui a précédé. Ce serait cependant manquer pas mal d'indices qui sont semés tout au long du film. Mais Lang, en grand maître de la rhétorique cinématographique, démontre aussi, si besoin l'était, l'immense force de persuasion du cinéma. Et, rien que pour cela, cette Invraisemblable vérité vaut le coup d'être vue !
Disponibilité vidéo : DVD zone 2 - éditeur : Wild Side Vidéo (épuisé) ; Blu-ray zone All - éditeur : Warner Archives (sous-titres anglais uniquement).
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