L'Homme qui trompait la mort (Terence Fisher, 1959)
Entrer dans un film Hammer, une fois que l'on en a vu un certain nombre, est comparable au fait de retourner dans un bar que l'on apprécie, dans lequel on retrouve les mêmes têtes, la même ambiance. C'est un vrai bonheur, surtout quand le tavernier s'appelle Terence Fisher. Après le coup d'éclat de Frankenstein s'est échappé ! en 1957 et du Cauchemar de Dracula l'année suivante, il reprend pour ce méconnu L'Homme qui trompait la mort, titre alternatif qui reprend fidèlement le titre original, The man who could cheat death) son fameux Dracula, alias Christopher Lee, dans un rôle solaire mais secondaire, opposé à la nature du ténébreux comte.
Adapté d'une pièce de théâtre de Barré Lyndon déjà adapté au cinéma (Le Sérum de longue vie, réalisé par Ralph Murphy en 1945), le film suit les pérégrinations d'un homme entouré de mystère, médecin de son état, s'adonnant à la sculpture avec talent. L'on pourrait d'ailleurs étudier le thème de l'art dans les films Hammer, qui est souvent mis en valeur. Une scène de ce film en annonce une autre, similaire, dans La Gorgone, tourné cinq ans plus tard par le même Fisher, cadrant tous deux le modèle posant au premier plan de dos, et l'artiste reproduisant la pose, tantôt en sculpture (L'Homme ...), tantôt en peinture (La Gorgone). L'époque change, le mobilier se fait moins foisonnant, l'éclat de la lumière fait place à une scène ténébreuse -annonçant la mort certaine-, mais les personnages sont toujours là. Deux plans qui montrent bien le talent de Fisher pour la composition de ses propres créations. La lumière du film, si particulière, est due au grand Jack Asher, qui fit les beaux jours du studio, dessinant adroitement un "noir et blanc coloré", comme le qualifiait Fisher. En résulte des teintes très particulières, comme si l'on avait peint un film noir et blanc, les couleurs de visages notamment devenant pastels. L'année suivante, Fisher et Asher récidiveront avec le magnifique Les Maîtresses de Dracula.
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| Hazel Court et Anton Diffring dans L'Homme qui trompait la mort |
| Toni Gilpin et Jeremy Longhurst dans La Gorgone |
La volonté de triompher du phénomène biologique de la mort, commune in fine à toute forme de vie, est bien illustrée dans l'attitude froide et calculatrice du docteur, essayant de laisser ses sentiments lui dicter une quelconque remise en question. Au lieu de voir mourir les gens qu'il aime et d'en souffrir, le plus simple est effectivement de s'interdire d'aimer. Alors que le bon docteur -Anton Diffring, un peu transparent- est en pleine sculpture avec sa chère et tendre à demi-nue, il lui fausse compagnie sans ménagement, un de ses collègues lui rendant visite. On ne recroisera la jeune femme dans le champs que plusieurs minutes plus tard, partant devant une absence moins temporaire qu'elle en avait l'air. La froideur et le caractère commun de la réaction du sculpteur -ne s'excusant nullement- laisse entendre qu'il se conduit d'ordinaire de cette façon, négligeant ses relations sauf lorsqu'elle lui apporte un bénéfice personnel. L'édition Vinegar Syndrome de 2025 permet de voir la toute première version de cette scène dans laquelle Hazel Court est filmée partiellement nue pendant un instant ; toutes les autres version connues montrent en effet une version habillée de la même scène.
C'est un nouveau partenariat de distribution et de production avec Paramount qui permet à la Hammer de sortir le film : elle se voit confier le droit de réaliser un remake -en couleurs, bien entendu- du film de Ralph Murphy. Le studio, en pleine période faste après les succès de leurs Frankenstein et Dracula, se réoriente quelque peu avec ce récit qui a de nombreuse similitudes avec le Dorian Gray d'Oscar Wilde, soit un personnage qui poursuit l'immortalité et finira par le payer. Hammer voulait reconduire la dream team de ses précédents succès, Fisher à la réalisation, Peter Cushing, Christopher Lee au casting. Las, Cushing fit faux-bond à la production six jours seulement avant le début du tournage, exténué par celui du Chien des Baskerville qui s'était achevé une semaine plus tôt. Anton Diffring prit sa place ; il avait interprété ce même rôle dans l'adaptation télévisée de la pièce Barré Lyndon quelques mois plus tôt, The Man in Half-Moon Street, ainsi que le docteur Frankenstein, qu'interprétait Cushing dans Frankenstein s'est échappé, dans le pilote d'une série télévisée, Tales of Frankenstein, en 1958.
Le tournage se déroula du 17 novembre au 30 décembre 1958, aux studios de Bray. Mais, alors que les précédents efforts de la firme furent couronnés de succès, le film ne constitua pas là une réussite critique ou publique lors de sa sortie sur les écrans britanniques. Aux États-Unis, le film fut même exploité par Paramount en tant que film de complément, témoin du désintérêt de la firme, notamment à cause du départ de Peter Cushing.
Relativement prévisible, la narration reste néanmoins solide et sa progression nuancée, les dialogues servant la psychologie des personnages comme les actions qui parsèment l'intrigue. On peut déplorer le caractère très statique de certaines scènes, qui rappelle l'origine théâtrale du projet. Le manque de variété des lieux (la maison du docteur et une cave privée) ne joue pas non plus en sa faveur. Lové dans une certaine perfection esthétique, chaque cadre s'imposant comme un tableau vivant, le film manque néanmoins un peu de vigueur. La similarité de l'histoire avec des référents plus connus -Dorian Gray donc, Dr Jekyll et Mister Hyde- , et toute une galerie de savants fous cherchant la vie éternelle, ne font pas émerger cet Homme qui trompait la mort comme un film marquant. D'autant plus que le curseur de l'horreur n'est très important ici, malgré le classement X, interdit aux moins de 16 ans. Les transformations et crimes du Dr Bonner se déroulant soit hors-champs, soit dans une relative discrétion par rapport aux deux premiers Frankenstein de la Hammer.
Après les mythes des monstres, Terence Fisher réussit son illustration du mythe des dieux : l'immortalité, dans un bel écrin. Mais, même si maître Fisher est aux commandes, ce film ne fait pas partie de ses meilleures livraisons, pêchant par une intrigue démarrant trop lentement, des cadres statiques et un personnage principal unidimensionnel, empêchant toute empathie. Habitué des rôles d'officiers allemands, Diffring sera plus à son aise l'année suivante dans Le Cirque des horreurs de Sidney Hayers. Peter Cushing aurait certainement amené une autre aura au personnage. Les images en Technicolor sont tout de même magnifiques... mais difficiles à voir sur notre territoire, le film n'étant pas sorti en DVD en France et très peu diffusé du temps de la télévision. Pour les amateurs de la Hammer, la seule voie reste l'import...
Disponibilité vidéo : Blu-ray UHD 4K / Blu-ray zone A - éditeur : Vinegar Syndrome (VO sous-titrée anglais uniquement).
Sources bibliographiques :
Hammer Complete / Howard Maxford
Livret de l'édition Blu-ray UK Eureka / Marcus Hearn



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