Ne vous retournez pas (Nicolas Roeg, 1973)

Affiche du film Ne vous retournez pas (Don't Look Now, Nicolas Roeg, 1973)

Don't Look Now apparaît, hier comme aujourd'hui, comme un joyau du cinéma britannique, tous genres confondus. L'histoire d'un couple, Laura (Julie Christie) et John Baxter (Donald Sutherland), qui vient de perdre sa fille, et qui tente d'y survivre lorsque, quelques mois plus tard, à Venise, un tueur rôde. Des rencontres étranges (deux sœurs âgées dont une aveugle et médium, un évêque distant) peuple ce film qui s'apparente au genre du giallo, inventé par Mario Bava et véritablement popularisé par Dario Argento.

Nicholas Roeg était directeur de la photo avant de devenir réalisateur, et ça se sent, cela se voit. L’extrême minutie de la composition des plans est impressionnante. Effets de miroirs, ruelles de Venise qui deviennent un enchevêtrement d’escaliers et de ponts dignes d’Escher, alternances de plans dont chacun œuvre dans la continuité de mouvements du précédent, le réalisateur met tout le monde d’accord sur sa technique. Mais elle ne serait pas grand-chose s’il ne venait pas s’y adjoindre une adéquation parfaite entre le fond et la forme. Rien n’y est gratuit, chaque plan possède une part de la vérité du film. Le spectateur doit être attentif, actif à chaque instant pour capter les infimes variations de ton, les détails de l’image, toute la richesse d’un film hors du commun.

L’ambiance est d'une tristesse infinie, constamment étrange, tellement certains inserts, certains plans, ne font pas tout de suite sens. Un couple essaye de continuer à vivre et à s'aimer après la mort accidentelle de leur fille. On pense à un film héritier, Étrange séduction de Paul Shrader (The Comfort of Strangers, 1990), dans lequel Rupert Everett se perdait physiquement et psychologiquement dans une Venise labyrinthique, traqué par Christopher Walken. Cependant, il n’arrive à l’expression de cette étrangeté maladive telle qu’on peut la percevoir dans Ne vous retournez pas : une sensation de danger permanent, pouvant surgir de n’importe où et de n’importe qui. Les personnages semblent en effet tous atteints, que ce soit d’une façon plus visible (les crises de la vieille aveugle) ou, pire encore, souterraine (l’inspecteur de police, l’évêque).


Donald Sutherland et Julie Christie dans Ne vous retournez pas (Don't Look Now, Nicolas Roeg, 1973)
Donald Sutherland, Julie Christie

Les symboles pullulent, le film nous montrant une foultitude d’objets totem, des objets symboliques : le ballon rouge de Christine, la photo de sa fille Laura,... On retrouve le même travail utilisée plus tard par Peter Medak dans L'Enfant du diable (The Changeling, 1980) ou par Shyamalan dans Sixième sens (1999), à savoir le caractère dangereux induit par la couleur rouge, qui conduit, tel un leitmotiv, l’attention du spectateur tout au long du film. Les couleurs d'une Venise un peu passée illustre un endroit décrépi, le rouge sang de certains objets ne se remarquant que plus.

Si le visuel et l'ambiance sont très travaillées et dessinent un univers clos se refermant sur lui-même, le film gagne en profondeur avec les interprétations de Julie Christie et Donald Sutherland. Le personnage de Julie Christie se renforce, tandis que celui de Donald Sutherland se perd peu à peu dans les eaux de Venise ; alors même que leur trajectoire pourrait sembler, de prime abord, être l'inverse. La véracité de leur personnage, déjà forte, est peut-être encore renforcée par celle du couple qu'ils forment. On ressent viscéralement leur lien, notamment via la très belle scène de lit montée en alternance avec les amants se rhabillant, mais également par tous les échanges de regards.

On remarque que l’étrangeté du film, s’apparentant à une aura fantastique, s’émancipe de tous les codes du genre, ainsi l’image reste constamment réaliste sans user des habituelles apparitions fantomatiques, d’effets-chocs bien connus, portes qui grincent et consorts. De plus, la musique de l’excellent Pino Donaggio (compositeur attitré chez Brian De Palma, notamment de Carrie, Pulsions, Blow Out) accompagne le spectateur sur ces eaux voilées, occultes. On ne peut que conseiller à toutes celles et ceux qui ne connaissent pas le film de faire l'expérience de son visionnage. Découvrir un des plus grands films britanniques n'arrive pas tous les jours.

Disponibilité vidéo : DVD / Blu-ray FR zone B - éditeur : Potemkine ; Blu-ray 4K UHD UK - éditeur : StudioCanal (sous-titres anglais uniquement).


Image titre du film Ne vous retournez pas (Don't Look Now, Nicolas Roeg, 1973)


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