À bout portant (Don Siegel, 1964)
Remake du film Les Tueurs (1946) de Robert Siodmak, plus qu’une nouvelle adaptation de la nouvelle d’Hemingway dont Siegel ne conserve quasiment rien, À bout portant est un récit nihiliste s’apparentant au film noir. La meilleure idée du film est de donner le premier rôle aux deux tueurs, qui mènent eux-mêmes l’enquête sur l’homme qu’ils ont assassiné par contrat. Plus particulièrement, le personnage de Charlie (Lee Marvin), monolithique tueur plus tout jeune préoccupé par la mort. Pourquoi Johnny North (John Cassavetes), l’homme qu’ils ont abattu, les a attendu sans résister alors qu’il se savait la cible d’une mort certaine et violente ? Également au cœur du questionnement de la nouvelle et du film de Siodmak, cet axe donne au film une belle dynamique, même s’il ne s’agit plutôt que d’un MacGuffin, un prétexte dont la réponse ne servira qu’à mettre en valeur la destinée de tout un microcosme.
Même si tous les codes du film noir ne sont pas de mise (la totalité du métrage se passe en plein jour, ne laissant aucune zone d’ombre à l’image), un destin tragique et inéluctable attend tous les personnages ; c’est comme s’ils le savaient bien eux-mêmes, qui sont tous figés par son arrivée imminente. Tous, sauf cette brute de Lee Marvin, qui a droit à une fin monumentale : on vous laissera admirer cela, magistral point d’orgue au film.
Lee Marvin et Clu Gulager |
Initialement réalisé pour la télévision, mais qui ne fut pas diffusé par ce biais à cause de sa violence, À bout portant commence effectivement sur les chapeaux de roues : la première séquence, le meurtre de Johnny par Charlie et Lee (Clu Gulager) dans un institut spécialisé pour les non-voyants, est très efficace : rapide, décadrée, elle montre les deux assassins en tenues impeccables, chaussés de lunettes noires, qui les fait ressembler à des patients de la structure. La violence sèche dont fait preuve Charlie, le personnage de Marvin, rappelle le statut de tough guy qui colle à l’acteur. Tronche de gangster, manière idoine et démarche féline, Marvin devait jouer ce rôle qui rappelle tant d’autres violents de l’époque classique du noir.
Le film fut tourné en 19 jours pour 750 000 dollars, une somme modeste cependant bien visible à l'écran, notamment via la course automobile de Riverside. Sept caméras, un après-midi de tournage, 75 figurants, que viendront compléter des plans serrés des acteurs (pas engagés à ce stade de la production), tournés par la suite en transparence "à la Hitchcock". Les costumes de Helen Colvig sont racés, elle qui a commencé au cinéma avec Psychose (Alfred Hitchcock, 1930) et accompagnera Clint Eastwood et John Siegel, son mentor, sur plusieurs films dont Les Proies (The Beguilded), Un frisson dans la nuit (Play Misty for Me) en 1971 ou Tuez Charley Varrick en 1973.
Angie Dickinson et John Cassavetes |
Angie Dickinson, magnifique Feathers dans Rio Bravo
(Howard Hawks, 1959), campe une belle amoureuse de l’aventure et de la
vitesse, femme un peu moins fatale qu’Ava Gardner, son équivalent dans
le classique de Robert Siodmak. Elle n’en est pas moins rayonnante et ne
feint pas l’amour, contrairement à Ava Gardner / Kitty Collins dans Les
Tueurs ; malgré tout elle fait bien partie d'un complot plus grand visant à faire tomber Johnny. Don Siegel fait un film de durs, de fous de
la vitesse (cette dernière est présente partout, des transports en
commun, au chronométrage de différents parcours, tout semble vrombir
sous le bitume...). La terre tremble devant cette course contre la mort.
Œuvre marquante, produite à une époque charnière (l’année de la sortie du Cléopâtre de Mankiewicz,
le film qui sonne le glas du système classique d’Hollywood), le film, produit pour la télévision, dépasse largement ce cadre. Durant le tournage, Kennedy est
assassiné, le 22 novembre 1963, alors que dans le film un des
protagonistes meurt sous les balles d’un sniper dont cette fois,
l’identité est sûre et certaine : toute une partie de l’idéologie
américaine s’effrite peu à peu, laissant la place libre à la mise en
doute des pouvoirs institués.
Rappelons-nous que Don Siegel, outre
futur réalisateur de L’Inspecteur Harry (1971), réalisa en 1956 L’Invasion des profanateurs de sépultures,
sommet de la science-fiction paranoïaque, héritée de la guerre
froide... Il était d'ailleurs sur les rangs pour réaliser la première version des Tueurs en 1946 ! Sa longue expérience dans le film noir (Ça commence à Vera Cruz, 1949, Ici brigade criminelle, 1954, La Ronde du crime, 1958) incitera le producteur Lew Wasserman de lui confier les rênes du film. Au générique nous retrouvons un jeune John Williams à la musique pour une partition jazzy parfois tonitruante.
Le tournage fut triste, rapporta Angie Dickinson, dévastée par l'assassinat de JFK qu'elle connaissait personnellement. Celui qui deviendra un autre président des États-Unis, Ronald Reagan, joue exceptionnellement ici le rôle d'un vrai méchant, alors que sa carrière s'est bâtie autour de personnages positifs et droits. Il regrettera toujours d'avoir tenu ce rôle, qui sera aussi son dernier au cinéma. Un bon moment de cinéma, miroir sans tain
d’une histoire de l’Amérique.
Disponibilité vidéo : DVD / Bluy-ray zone B FR - éditeur : BQHL. Blu-ray zone B UK - éditeur : Arrow Video (contient la version au format 1.33 :1 et le format cinéma 1.85:1, sous-titres anglais uniquement). UHD 4K allemand (sous-titres anglais ou allemand) - éditeur : Koch Media.
Commentaires
Enregistrer un commentaire