Rollerball (Norman Jewison, 1975)

 

 Rollerball est un film typique d’une SF à messages des années 70, tout en étant assez unique dans la foultitude de thèmes qu’il aborde, et ce, sans en avoir l’air.

La première chose notable dans Rollerball, c’est l’absence quasi-totale d’imagerie habituellement rattachée au genre : pas d’objets futuristes (mis à part un pistolet, dont on parlera plus tard), pas de vêtements spéciaux, bref ce futur qu’on nous offre à voir est très dépouillé. C’est somme toute assez logique car la période du film ressemble fort à un retour dans le passé : le Rollerball, attraction centrale, mélange de hockey, de patinage de vitesse et de basket-ball, constitue le divertissement des foules au même titre que les jeux du cirque dans l’Antiquité. Ne semble subsister que la société du plaisir dans le monde futuriste de Rollerball, devant toute autre considération. L'écologie par exemple, prenant toute son importance dans les années 70, est ici biffée du spectre : on brûle des arbres au pistolet lance-flammes pour s'amuser lors d'une fête entre amis, pour le plaisir. Ces flammes rappellent les bombes au  napalm, beaucoup utilisées lors de la guerre du Vietnam qui venait, enfin, d'arriver à son terme. On nous pointe ici l’inconscience et la futilité des aspirations de ces générations, tentant d’apaiser leur lassitude de vivre en détruisant tout autour d’eux, et en appréciant le spectacle d’autres se détruisant pour eux.

Le jeu occasionne des moments violents, laissant à penser que l’espérance de vie d’un joueur est très courte. Dans le même temps, les rares vainqueurs sur la durée, tel que l’incarne le personnage de Jonathan E. (James Caan), sont de véritables superstars, des gladiateurs modernes, même si pour les dirigeants, ils ne devraient pas exister : ils acquièrent un pouvoir trop grand, capable de déstabiliser le statu quo peaufiné depuis des années par les corporations. L’espace de jeu est clairement dessiné comme un cirque romain, et les accessoires que les joueurs portent rappellent les armes variées des combattants de l'arène : pointes, cuirasses, etc. Le Rollerball est désigné par les hauts responsables de l’état comme un instrument de cohésion sociale, un rouage fondamental du maintien du statu quo, beaucoup plus que comme un jeu (un de ceux-ci s’exclame d’ailleurs "ce n’a jamais été un jeu !", nous indiquant bien la portée politique du dispositif, comme l’étaient les jeux du cirque à l’époque des Césars. Cette parabole était dans l’air du temps, comme le figure un autre film SF de la même année utilisant une organisation similaire, le sympa Course à la mort de l’an 2000, réalisé par Paul Bartel ; film qui a eu droit à un remake, tout comme Rollerball, remaké par John McTiernan en 2002, preuve de l’intelligence de leur propos (et du manque d’idées nouvelles des producteurs d’Hollywood, mais ça, c’est une autre histoire).


James Caan dans le film Rollerball (Norman Jewison, 1975)
James Caan

Rollerball est aussi l'expression du cinéma paranoïaque post-Watergate : Jonathan E., champion du Rollerball, suit d'abord les règles du jeu puis se rebelle lorsqu'on lui demande de prendre sa retraite. Seul contre la multitude invisible -chacun de ses interlocuteurs se défausse lorsqu'il s'agit d'expliquer les raisons de son éviction-, il cherchera à connaître la vérité. 

Dans un jeu qui demande la mort de ses participants, l’existence même de Jonathan E. va poser un problème : après 10 ans passé à gagner, il est un véritable dieu vivant et gêne les puissants. Il va donc être poussé vers la sortie... sauf que Jonathan n’aime pas être le jouet que les dirigeants voudraient qu’il soit. Qui plus est, il a une passion indéfectible pour le jeu : à plusieurs occasions, à la suite d’actions magistrales dans l’arène du Rollerball, il lance à son coéquipier un "j’adore ça" qui en dit long.

Le monde est donc à la merci des corporations, multinationales qui sont devenues les organes les plus puissants du futur. L’argent règne en maître, dans une société où ne semble subsister que le plaisir, devant toute autre considération. L'écologie par exemple, prenant toute son importance dans les années 70, est ici biffée du spectre : on brûle des arbres au pistolet lance-flammes pour s'amuser lors d'une fête entre amis.. De même, on peut se demander où sont passés les vieux : il n’y a pas un personnage de plus de 45 ans dans le film ; ou, plus précisément, pas une seule femme âgée. Les hommes âgés sont eux bien présents, dans la classe dirigeante. Le troisième âge a-t-il été éliminé comme dans cette scène incroyable de Death Race 2000, où un hospice fait sortir ses vieux au milieu de la route pour que des bolides aux pare-chocs agressifs les cartonnent ? On pourrait croire que les deux films font partie d’une même réalité alternative, tant les idéologies se répondent.


James Caan et Ralph Richardson dans le film Rollerball (Norman Jewison, 1975)
James Caan, Ralph Richardson

Rollerball hérite aussi d’un imaginaire science-fictionnel très politique et écologique à l'instar de Silent Running (Douglas Trumbull, 1972) et surtout Soleil Vert (Richard Fleischer, 1973). Comme dans ce dernier, les filles y sont monnayées, baladées comme de vulgaires affaires. Comme Thorn (Charlton Heston), Jonathan E. est tombé amoureux d’une fille qu’il ne pouvait pas aimer. Le futur de Soleil Vert, marquant une pénurie de vivres, et une disparition de la flore à cause de l’activité humaine, peut être considéré comme un moment dans la ligne temporelle de Rollerball.

La télévision est aussi très présente dans le film, à travers une multitude d’écrans disséminés ici et là, écrans de contrôle ou écrans de télévision, jamais uniques, toujours à plusieurs. Plus que la surveillance, la télévision incarne le concept de manipulation de l’information, cruciale lors de l’émission spéciale consacrée au champion de Rollerball. Lors d’un essai, un texte qu’il doit déclamer lui est dicté, ce qu’il refuse. L’émission consistera alors en grand mixage de passages de ses matches, où ne seront montrés que les coups mortels portés par le champion, et où tous les bruitages sont amplifiés pour rendre la brutalité encore plus prégnante. Sur les visages des spectateurs se lit peu à peu une distance inquiète, loin de l’adoration sans bornes qu’ils vouent d’habitude à leur champion. L’écran de télévision est alors présenté comme le prisme déformant d’une réalité, déjà problématique.

Enfin, les matchs de Rollerball, noyau central du film, sont une prouesse technique et visuelle, communiquant bien toute la brutalité, la vitesse du jeu. Le lancement de la première balle rappelle un flipper géant, et les joueurs ont l’air d’être les obstacles, victimes consentantes, de cette balle furieuse.

Le film essaime donc pas mal d’idées, peut-être un peu trop, en tous les cas plus que son cadre ne lui laissait espérer. Dans la même veine nous vient à l’esprit la foule d’idées déchaînées servie dans le grand bazar qu’est Zardoz (John Boorman, 1974), qui, lui, n’amène qu’au chaos scénaristique le plus total. Au final, Rollerball est un film maîtrisé, offrant à la science-fiction tout ce qu’elle devrait proposer : une dimension politique et révélatrice de notre condition actuelle.

Disponibilité vidéo : DVD / Blu-ray / UHD - éditeur : L'Atelier d'images

 


 

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