Le Chat noir (Edgar G. Ulmer, 1934)
Universal s'est fait le studio de l'épouvante et du fantastique, avec ses histoires morbides et ses personnages monstrueux. Après les succès de Dracula (Tod Browning, 1931) et de Frankenstein (James Whale, 1931), la firme entreprend de réunir les deux acteurs principaux dans une confrontation mano a mano : ce sera Le Chat noir, avec Bela Lugosi et Boris Karloff.
Point de chat noir pourtant ici, ou si peu ; l'on ne retrouve la nouvelle d'Edgar Poe que dans la figure du chat, qui apparaît furtivement, comme pour justifier le titre du film. Rien de la maladie mentale qui ronge un personnage principal perdu dans les méandres cauchemardesques de son esprit. En lieu et place du récit de Poe, Ulmer et son scénariste Peter Ruric basent le film sur un couple en voyage de noces(joué par David Manners, le John Harker de Dracula, et Jacqueline Wells), qui rencontrent Vitus Verdegast, un docteur au regard tourmenté (Bela Lugosi), qui doit retrouver une ancienne connaissance... La superbe demeure celui-ci, sert de refuge à tout ce petit monde après des événements perturbateurs. La nature des relations entre les deux hommes est laissée dans l'ombre un moment, l'un et l'autre prenant à tour de rôle une attitude menaçante...
Alors qu'on aurait pu s'attendre à une ambiance gothique, qui sied bien aux adaptations d'Edgar Poe, elle s'oriente plutôt vers un modernisme art-déco (l'architecture de la demeure principale) qui est néanmoins censé se trouver en pleine Europe de l'Est : le choc des esthétiques répond aux affrontements des personnages entre, d'un côté, deux américains, et, de l'autre, deux "locaux". Le jeune couple est bien évidemment au second plan, un peu inactif, utilisé par Lugosi et Karloff pour tenter de gagner leur bataille. Le film se résume ainsi, à une lutte entre deux forces, comme en témoigne leur partie d'échecs où chacun déplace ses pions.
David Manners et Jacqueline Wells |
Ulmer fait montre d'une belle utilisation du langage cinématographique, notamment dans l'usage du hors-champ (Lugosi martyrise un chat, torture Karloff) pour invoquer une puissance dans l'horreur suggérée mais diablement efficace. De même, l'utilisation des décors, découpant le cadre via des ombres envahissantes, donne au film un look qui n'est pas sans rappeler l'expressionnisme allemand, cher à Ulmer. Le dernier décor de la messe, théâtral jusqu'à la démence, emmène le film sur des terres fantastiques bienvenues et dépaysantes.
Le tournage se déroule du 28 février au 17 mars 1934, pour un budget d'un peu plus de 90 000 dollars. Cependant, Egdar G. Ulmer apprend le lendemain de la fin du tournage que le film est trop violent pour Universal. Il regroupe ses techniciens et les acteurs pour quelques jours de tournage additionnel à partir du 25 mars. Il y tourne au moins une toute nouvelle séquence : celle montrant Karloff en train de rôder, de nuit, dans son mausolée privé. Le film sort le 7 mai 1934 aux États-Unis et engrange 236 000 dollars de recettes, un beau succès public, malgré un accueil critique plutôt tiède.
Malgré des ficelles caricaturales, l'affrontement entre les deux géants de l'épouvante a porté ses fruits : ils nous ont effrayés, envoûtés. Alors, même si certaines ficelles sont épaisses, et si le couple (et le chat !) sont accessoires et desservent le récit (pourtant déjà ramassé : 62 minutes au compteur, pas une de plus), il n'en reste pas moins une impression tenace et ténébreuse, après la projection. Le Chat noir fait partie de ces films qui fascinent, par leur accomplissement plastique et l'ambiance étrange qu'ils dégagent. Ulmer, qui signera plus tard Detour (1945), réalise là sans conteste un grand moment de cinéma.
Disponibilité vidéo : DVD zone 2 / Blu-ray zone B - éditeur : Elephant Films
Source bibliographique :
Universal Horrors, The studio's classic films, 1931-1946 /
Source bibliographique :
Universal Horrors, The studio's classic films, 1931-1946 /
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