Le Masque d'or (Charles Brabin et Charles Vidor, 1932)

Affiche du film Le masque d'or (1932)

L'archétype du dangereux asiatique, ce péril jaune qui alimentait tous les fantasmes, le voici. En chair, en os et bien maquillé, c'est Boris Karloff, auréolé de sa gloire monstrueuse, qui l'incarne. C'est un exotisme exubérant, extrême et empreint d'un complexe de supériorité typique de l'époque, qui saute aux yeux lors du visionnage de cette luxueuse bande made in MGM / Cosmopolitan Productions.

Fu Manchu, personnage aussi diabolique que cultivé, convoite le sabre et le masque d'or de Gengis Khan pour imposer sa suprématie au monde. L'infatigable Nayland Smith, agent de Scotland Yard, veut confondre le criminel. 

Le récit d'aventures orientales que propose le réalisateur Charles Brabin est richement composé. Les décors, créés par Cedric Gibbons (Le Magicien d'Oz, 1939, Un Américain à Paris, 1951), constituent un écrin aussi raffiné qu'empoisonné : les salles de tortures, les intérieurs décorés d'arabesques jouant habilement sur les forts contrastes y côtoient des portes dérobées et autres postes d'observation cachés. Kenneth Strickfaden (un technicien-clé de la Universal pour Frankenstein) conçoit les effets spéciaux du rayon de la mort, un éclair crépitant qui assomme ceux qui ont le malheur de déplaire au despote.

The Mask of Fu Manchu n'est pas la première apparition du personnage créé par Sax Rohmer en 1912. Il fut d'abord popularisé au cinéma dès 1923 par The Mystery of Dr. Fu Manchu, un serial en 15 épisodes réalisé par A. E. Coleby, qui connu une suite : Further Mysteries of Fu Manchu par Fred Paul en 1924. S'ensuivit entre 1929 et 1931 une trilogie de films réalisée par Rowland V. Lee et Lloyd Corrigan, où l'irrécupérable vilain est incarné par Warner Oland, plus connu pour son incarnation de Charlie Chan. En quelques années, les nombreux romans de Sax Rohmer et les films sus-cités ont donné une incarnation cinématographique au péril jaune qui effrayait tant. Dans les années 60, Christopher Lee reprendra le flambeau pour une série de cinq films débutant par Le Masque de Fu Manchu (Don Sharp, 1965). Le Complot diabolique du docteur Fu Manchu (Piers Haggard, 1980) est à ce jour la dernière incursion cinématographique dédiée au personnage, avec Peter Sellers dans un double rôle étonnant : celui de Fu Manchu et de sa némésis, Nayland Smith. Le film se solda par un échec critique et financier cinglant.

Cette histoire de génie du mal cherchant à dominer le monde n'a rien de nouveau, et le film reste sur le sentier de stéréotypes grossiers empêchant toute caractérisation nuancée des personnages. Mais tout comme les récits de Sax Rohmer, il permet à Fu Manchu d'exister comme le véritable (anti-) héros de l'histoire, les dialogues de Karloff et les cadrages qui l'introduisent -voir sa première apparition- étant les plus réussis. Le personnage préfigure ainsi les Dr. Phibes et consorts, ces méchants qui font montre de plus d'intelligence (pervertie, certes) que les autres personnages leur servant de faire-valoir.

Myrna Loy, Charles Starrett et Boris Karloff dans le film Le Masque d'or (1932)
Myrna Loy, Charles Starrett et Boris Karloff

Un des seconds rôles détonne : il s'agit de la sadique Fah Lo See, interprétée par Myrna Loy, future co-star de la série L'Introuvable / The Thin Man avec William Powell.
Avant de trouver la consécration avec ce rôle, Myrna Loy a souvent été employé dans des seconds rôles typés d'asiatique, qui lui permettent d'exploiter un aspect exotique de son visage. Elle restera longtemps prisonnière de cette étiquette, Le masque d'or marquant la fin de cette séquence. Ici, ses cris de jouissance devant le pauvre bougre qui endure une série de coups de fouets en dit plus que n'importe quelle ligne de dialogue. Le supplice de la cloche semble également provoquer chez son instigateur une horrible joie, un sourire grimaçant s'affichant inlassablement sur le visage de Fu Manchu / Karloff. Le titre utilisé pour la sortie du film en Belgique, La Maison des supplices, apparaît tout aussi approprié que son titre français.

Charles Brabin tourne le film dans les studios de la MGM du 6 août au 21 octobre 1932, succédant à Charles Vidor, qui aurait dû signer là son premier film ; il est congédié après quelques jours de tournage seulement.
Nanti d'un budget confortable d'environ 327 000 dollars (plus qu'un Frankenstein qui pointait en 1931 à 291 000), Le Masque d'or engrange un bénéfice réduit de 61 000 dollars.

Boris Karloff dans le film Le Masque d'or (The Mask of Fu Manchu, Charles Brabin et Charles Vidor, 1932)
Boris Karloff grimé en Fu Manchu

Boris Karloff, qui vampirise littéralement la pellicule à chacune de ses apparitions, a encore enduré une pose de maquillage douloureuse : il fallut au maquilleur Cecil Holland 2h30 chaque matin pour transformer l'acteur en Fu Manchu. Le Masque d'or, s'il est loin du chef-d'œuvre, nous offre ce voyage dans un autre temps, un temps qui n'a jamais existé que sur l'écran de cinéma.

Disponibilité vidéo : DVD zone 2 - éditeur : Warner Home Video

Title still film Le Masque d'or (Charles Brabin, Charles Vidor, 1932)

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