Torso (Sergio Martino, 1973)
Pour ce qui s'illustrera comme son dernier giallo, Martino marque les esprits en reprenant tout à la fois les codes du genre. Il y exacerbe les représentations de la sexualité et de la violence, pour enfin constituer les germes d'un futur courant dérivé : le slasher.
Pérouse, jolie ville étudiante de l'Italie centrale. Un tueur sévit dans les environs, décimant peu à peu l'entourage de la jeune Jane (Suzy Kendall, vue notamment dans L'Oiseau au plumage de cristal). Pour échapper à cette atmosphère sordide, elle décide d'emmener quelques copines prendre du repos dans une maison sur les hauteurs de la ville.
Le film de Sergio Martino se divise en deux parties bien distinctes ; la première ne surprendra pas les amateurs du giallo. On y note à la fois l'expression d'une sexualité très graphique -les étudiants se réunissent dans des fêtes où l'alcool et le sexe sont légion-, ainsi qu'une violence qui use d'effets gore, certes artisanaux mais marquants. Les codes du giallo sont là : gants noirs, arme blanche, tueur masqué, jeunes filles en détresse. La ville et ses ruelles, grande place, vastes intérieurs, sont particulièrement bien servis par une caméra agile. La dimension solaire et détendue de cet espace urbain contraste fortement avec les odieux crimes qui y sont perpétrés. Tout juste peut-on remarquer le peu de subtilité avec laquelle chaque personnage masculin est rendu suspect : regard louche, attitude brutale, etc.
Cette partie est sous influence, à la fois du giallo popularisé par Dario Argento à la fin des années 60, et également d'Alfred Hitchcock et de son art consommé du suspense (le réalisateur a de toute façon infusé pour partie le giallo). La façon dont la caméra présente certains personnages par leur démarche en ne cadrant que leurs chaussures est typique de la forme qu'a utilisé Hitchcock (voir par exemple l'introduction de L'Inconnu du Nord-Express, 1951).
Comme chez Argento, l'essentiel de l'intrigue repose sur un détail (une écharpe rouge et noire), et sur le temps que mettra un des personnages à se rappeler précisément ce qu'il a vu. Un détail insignifiant pour commencer, présent dans le cadre, mais que les personnages, comme le spectateur, ne mémorisent pas comme étant une des clés de l'histoire.
La deuxième partie du film, où la jeune Jane et ses amies se retrouvent dans une maison à l'écart de la ville, est plus novatrice : dans ce lieu clos, les jeunes filles, pensant s'éloigner du danger, relâchent leur vigilance et vont in fine constituer les proies d'un maniaque. Si l'on peut nommer La Baie sanglante (Mario Bava, 1971) comme un précurseur de ce qui deviendra le slasher, Torso doit définitivement être considéré comme l'un des tout premiers films de la mouvance. L'année suivante, on trouvera aux États-Unis une nouvelle variation du genre en devenir avec Black Christmas (Bob Clark, 1974). De façon brutale, la vie des jeunes filles va être stoppée. On voit la dimension punitive de ces meurtres face à un comportement sexuel jugé inapproprié : la pureté perdue, code du slasher, est sanctionnée par la mort. Un esprit malade, prisonnier de son refoulement permanent, doit libérer l'énergie non dépensée dans de terribles accès de violence. C'est ce que Jean-François Rauger nomme "refoulement et débauche" dans un des excellents bonus de l'édition DVD de The Ecstasy of Films. De façon tout à fait singulière, ces derniers meurtres sont hors-champs, alors que l'exécution des crimes est la plupart du temps le passage obligé des films du genre, comme pendant la première partie du film d'ailleurs.
Enfin, on peut souligner l'originalité de la toute dernière partie du film, qui voit la dernière survivante se cacher du meurtrier, tout en essayant de réprimer les cris d'angoisse qui l'assaillent devant les monstrueux agissements du tueur. Cette partie, très survival, est le pinacle d'une escalade dans l'horreur.
Torso, par son ancrage dans le genre du giallo et les nombreuses originalités et excès dont il fait preuve, est une date dans l'histoire courte mais extrêmement productive du genre.
Commentaires
Enregistrer un commentaire