La Baie sanglante (Mario Bava, 1971)

La Baie sanglante (Reazione a catena / Bay of Blood, MArio Bava, 1971) film poster


La Baie sanglante est un film charnière pour Mario Bava, qui, après avoir posé les bases du giallo avec La Fille qui en savait trop en 1963 et surtout Six femmes pour l'assassin en 1964, se lance dans d'autres genres : la science-fiction avec La Planète des vampires (Terrore nello spazio, 1965), le film de cape et d'épée avec Duel au couteau (I coltelli del vendicatore, 1966), la comédie d'espionnage avec Danger : Diabolik ! (Diabolik, 1966). 

Des échecs au box-office mettent à mal sa capacité à financer ses futurs projets : L'Île de l'épouvante / Cinq filles pour une chaude nuit d'été (Cinque bambole per la luna d'agosto, 1970), un giallo que Bava lui-même détestait, le western Roy Colt et Winchester Jack en 1970 et Une Hache pour la lune de miel (Il rosso segno della follia) la même année. Dario Argento de son côté, devient du jour au lendemain une rock-star du cinéma de genre avec L'Oiseau au plumage de cristal (L'uccello dalle piume di cristallo), un giallo qui va lancer la mode de ces thrillers horrifiques pendant une courte mais intense période au début des années 1970. Bava revient alors au giallo avec La Baie sanglante, qui va pousser tous les curseurs au maximum : meurtres, sexe, sang, tout ce qui était déjà très impressionnant pour l'époque dans Six femmes pour l'assassin va trouver ici un nouveau mètre-étalon. 

Le projet va beaucoup évoluer, se voir attribuer un certain nombre de titres de travail ou de titres alternatifs (Cosi imparano a fare i cattivi, "ça leur apprendra à être méchant", "La baia d'argento",  ou le plus cérébral Ecologia del dellito, "écologie du délit", pour finir avec "Reazione a catena", Réaction en chaîne. Mario Bava et Dardano Sacchetti (le scénariste du Chat à neuf queues de Dario Argento !) écrivent un sujet autour des enfants diaboliques et d'une kyrielle de meurtres autour d'eux. Le scénario final de ce qui deviendra La Baie sanglante en garde certains aspects, notamment le rôle des enfants.

La Baie sanglante (Reazione a catena, Mario Bava, 1971)
La baie paisible accueille d'ignobles méfaits


Les limites budgétaires du film en font sa force. La caméra à l'épaule transmet immédiatement une sensation de danger, les zoom / dézooms très fréquents provoquent une expérience hallucinatoire. Encore mieux : le film est à l'origine du slasher, sous-genre horrifique très codifié dans lequel un serial-killer mystérieux, à la limite de la présence fantastique, défouraille sans vergogne un quartier, une ville avec des instruments de mort exotique ou emblématiques. Des films au bodycount effrayant ; La Baie sanglante compte déjà treize meurtres, sans même compter son incroyable double-meurtre inaugural. Black Christmas (Bob Clark, 1974), Halloween (John Carpenter, 1978), ou encore Vendredi 13 (Sean S. Cunningham, 1980) sont tous redevables de La Baie sanglante.

La baie du titre, à la fois lieu de l’intrigue et moteur du scénario (comme souvent tout tourne autour de l'argent) est rendue étrange. La simple configuration de l’espace et les déambulations de la caméra, captant les différentes atmosphères au fil du jour, participent à ce sentiment d’étrangeté, aussi lié au décalage entre sa beauté et son calme, opposé à la violence omniprésente des personnages  ; sa vision remémore la célèbre étendue d’eau de L'Étrange créature du lac noir (Jack Arnold, 1954), filmée avec un aussi grand soin. Étrange, elle est aussi très belle. À ce titre, le cinéma de Bava sort de ses univers en vase clos pour sortir au grand air.

Comme son titre original Reazione a catena le laisse présager, La Baie sanglante ne fournit que le minimum syndical scénaristiquement parlant, prétexte à un enchaînement presque ininterrompu de meurtres extrêmement graphiques. Couteau, lance, faucille, à un ou a plusieurs, les situations sont variées et déclinées comme jamais. 

La première scène du film, magnifique, met en place ce système ; au crépuscule, une vieille dame déambule lentement en fauteuil roulant dans une grande salle de sa demeure, allant vers une photo, ravivant sa mémoire, puis se dirigeant ensuite vers sa fenêtre. Une corde de pendu, mise en scène macabre, attire son attention, elle qui, sans le savoir, va venir combler le mince espace laissé par le nœud coulant, un intrus surgissant dans son dos. D'un rythme lent et mélodramatique, accompagnée par la musique au piano de Stelvio Cipriani, on passe à un enchaînement très rapide de plans, montrant par des plans fixes la mise à mort de la vieille femme. Puis, comme dans aucun début de giallo jusque-là,  le visage du tueur est dévoilé en pleine lumière ; la convention voulant que l’identité du meurtrier reste le plus longtemps secrète est balayée. D’abord satisfait, le criminel va alors, dans un vif éclat d’argent, périr lui aussi sous les coups d’un autre assaillant, cette fois retranché dans la pénombre. Cette leçon de mise en scène se poursuivra sur toute la durée du film, tout entier consacré à la représentation du crime, tant en intérieur rougeoyant qu’en extérieur faussement idyllique. 

Bava pousse en effet loin tous les curseurs de l'horreur, notamment via des effets spéciaux très impressionnant pour l'époque : un homme se fait trancher le visage par une machette (séquence qui inspirera George A. Romero pour Zombie (Dawn of the Dead, 1978), une voyante (la magnétique Laura Betti) se fait trancher la tête en gros plan, un couple se fait transpercer par une lance alors qu'ils font l'amour -scène marquante, ils n'arrêtent pas pour autant leurs ébats, laissant la mort clôturer le moment.

 

Brigitte Skay dans La Baie sanglante (Reazione a catena, Mario Bava, 1971)
Brigitte Skay


Victimes et bourreaux se confondent dans une affaire dont on ne saisit pas vraiment le sens, sauf dans la toute dernière partie du film, à grands renforts de flashback. La maestria brute, sans volonté de rendre beau, nous scotche au siège, notamment lors de la baignade au grand jour d’une belle blonde dénudée, qui se termine par un contact mortel. La simplicité des éléments en présence (un corps nu, l’eau, le soleil, la mort) rendant compte des archétypes généralement mis en scène dans le giallo, en fait une autre séquence mémorable.

Comme beaucoup de films en avance sur leur temps, la réception de La Baie sanglante n'est d'abord pas tendre. Bava est taxé de complaisance, le film s'attardant avec insistance sur les meurtres et leur conséquences. Il est cependant célébré à quelques occasions, comme au festival d'Avoriaz 1973 où il est récompensé pour ses effets spéciaux (derrière lesquels nous retrouvons Carlo Rambaldi, qui travaillera sur notamment sur King Kong (1976) et sera plus tard honoré pour E.T., l'extra-terrestre. Le film, sorti en France en 1973, cumulera 200 000 entrées, un bon score. En Grande-Bretagne, il sort sous le titre Bloodbath (bain de sang) et aux États-Unis Twitch of the death nerve, (Contraction du nerf mortel), assorti d'une publicité à la William Castle; interdisant quasiment d'entrer à toutes les personnes sensibles : 

"We must warn you face to face, you may not walk away from this one"

Nous devons prévenir chacun d'entre vous, vous ne vous ne sortirez peut-être pas vivant de cette projection !

La Baie sanglante est un marqueur de son époque, peut-être le plus ancré dans son temps de son auteur. Et, comme le souligne Nicolas Stanzick dans son invention en bonus de l'édition vidéo française parue chez ESC en 2019, celui qui marque la fin du giallo par son extrémisme ; un point de non-retour où le vice a contaminé tous les êtres humains.

Disponibilité vidéo : DVD / Blu-ray FR - éditeur : ESC Éditions

Sources bibliographiques :
Mario Bava : All the Colors of the Dark / Tim Lucas, 2007
Mario Bava, un désir d’ambiguïté / Alberto Pezzotta, 2018
Une étude en jaune : giallos et thrillers européens / Frédéric Pizzoferrato, 2021

La Baie sanglante (Reazione a catena, Mario Bava, 1971) title image


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