La Fiancée de Frankenstein (James Whale, 1935)

La fiancée de Frankenstein (The Bride of Frankenstein, James Whale, 1935) poster US du film

Le cycle des monstres Universal, avec La Fiancée de Frankenstein, est à son sommet. Mais, avant d'en arriver là, le chef-d’œuvre de James Whale a connu quelque aventure...

Alors qu'une suite au populaire Frankenstein est envisagée très tôt par Carl Laemmle Jr., elle mettra quatre ans à voir le jour. Première cause de ce délai, James Whale, à qui l'on propose la réalisation, qui la refuse catégoriquement : le principe même de la suite ne l'intéresse pas. Il aura le temps de réaliser The Old Dark House (sorti en France sous le titre Une Soirée étrange ou La Maison de la mort), ainsi que l'autre joyau du cycle, L'Homme invisible (1933), avant d'être de nouveau approché par la production. Si le cinéaste Kurt Neumann est annoncé vers septembre 1933, Whale reste le choix du studio par excellence. À la faveur d'un marché avec Laemmle (il le laissera réaliser One more River, en échange de La Fiancée de Frankenstein), Whale se laisse convaincre. De multiples versions du scénario sont écrites, toutes peu satisfaisantes, notamment une signé Tom Reed fin juillet 1933. Certains éléments, présents dans la version Reed, seront conservés dans la version finale : l'apprentissage de la parole par le monstre, sa rencontre avec l'aveugle, le personnage de la fiancée, et l'inévitable destruction du laboratoire. Notons qu'à l'exception des deux derniers poins, le reste est présent en germes dans l’œuvre originale de Mary Shelley. Au final, trois personnes marquent durablement le script : William Hurlbut, John L. Balderston (auteur adapté sur Dracula, scénariste sur La Momie) et Whale, qui, même s'il est non-crédité, injecte son humour caractéristique et sa science du décor à l’œuvre (lui-même ancien décorateur).

Colin Clive, Dwight Frye et Ernest Thesiger dans La Fiancée de Frankenstein (Bride of Frankenstein, James Whale, 1935)
Colin Clive, Dwight Frye et Ernest Thesiger

Le film est ainsi bâti autour d'une équipe très semblable à celle du film d'origine : Karloff, bien qu'étant contre l'idée de faire parler la créature, est de retour dans la défroque du monstre ; Colin Clive interprète à nouveau Henry Frankenstein (il est désormais baron, contrairement à l'épisode précédent, ce qui prouve que son père, tenant du titre, n'a pas survécu au précédent film ; le scientifique aura désormais ce titre dans les autres opus de la saga, à la Universal, puis à la Hammer Film). Le fantasque Dwight Frye est de retour, mais dans un rôle différent (Fritz trouvant la mort dans le premier film, il devient Karl, un pauvre hère détrousseur de tombes). Valerie Hobson interprète la femme du baron Henry Frankenstein, Elizabeth ; on la verra la même année dans Le Monstre de Londres (Stuart Walker), dans lequel elle joue aussi la compagne (malheureuse) du premier rôle masculin, le docteur Wilfred Glendon (l'acteur Henry Hull). Des habitués du cercle Whale sont également incorporés, dans deux rôles faits pour eux : l'inimitable Una O'Connor (la gouvernante de Frankenstein) et E.E. Clive, qui joue le bourgmestre. Leurs échanges humoristiques, détonnant quelque peu dans la noirceur du film, apportent une respiration bienvenue, tandis que d'autres s'épouvanteront devant leur sur-jeu apparent. Autour de ces acteurs récurrents, l'époque est difficilement décelable : des technologies avancées sont présentées aux côtés de villageois semblant à peine sortir du Moyen-Âge. Plus que du fantastique ou de la science-fiction, le films pourrait tout à fait constituer un exemple de fantasy, l'illustration d'un espace-temps mythique de conte. Plus tard dans le film, la temporalité est tout de même précisée, censée être contemporaine à la sortie du film... mais dans un environnement si reculé qu'on peut le qualifier d'univers parallèle ! À cheval entre la fantasy et la science-fiction, donc.

Dans cet ensemble plutôt familier, un nouveau venu fait des étincelles : l'acteur Ernest Thesiger, dans la peau du docteur Pretorius ; autrefois mentor de Frankenstein, Pretorius revient hanter le docteur pour tenter à nouveau l'expérience interdite de créer la vie. Le rôle devait échoir à Claude Rains, mais Thesiger fut finalement préféré et Rains endossa finalement le rôle principal de The Mystery of Edwin Drood, une adaptation de Dickens réalisé par Stuart Walker, qui devait diriger la même année Le Monstre de Londres, première version cinématographique parlante du mythe du loup-garou. On remarque que la relation entre ces deux personnages, qui consiste à faire du mentor celui qui exhorte Frankenstein à retenter l'expérience, est l'inverse de celle qui prévaut d'habitude, quand Frankenstein doit convaincre son entourage qu'il est sain d'esprit, et que sa quête a un sens. On retrouve d'ailleurs la relation maître/élève dans plusieurs films de la reprise Hammer du mythe, notamment dans Le Retour de Frankenstein (Frankenstein must be destroyed, Terence Fisher, 1969). Le retour de Frankenstein devait d'ailleurs être le titre retenu pour La fiancée de Frankenstein, quand Whale trouva ce titre, plus poétique. Le personnage de la fiancée s'impose à la toute fin comme une véritable icône du cinéma d'horreur, parfaitement habillée et coiffée : cette coiffure qui rappelle les égyptiennes, zébrées d'éclairs blancs, fera beaucoup d'émules, et constitue la plus grande nouveauté esthétique du film. Alors que Karloff, dans sa scène de résurrection dans le premier film, était couvert partiellement de bandages, la fiancée est intégralement enveloppée par des bandelettes qui font d'elle une véritable momie : même ses jambes sont serrées pour ne former qu'un grand tronc. On peut sûrement voir ici une influence de La Momie (Karl Freund, 1932), autre film du cycle qui constitue une autre réussite incontestable.

Elsa Lanchester et Boris Karloff dans La Fiancée de Frankenstein (Bride of Frankenstein, James Whale, 1935)
Elsa Lanchester et Boris Karloff

Le titre du film entretient vraisemblablement à date la confusion autour de la créature ; certes, Frankenstein est bien le nom du scientifique, la créature n'ayant pas de nom. Alors, pourquoi nommer cette suite La Fiancée de Frankenstein ? Le studio semble avoir hésité sur cette appellation. Le film est en effet d'abord annoncé comme The Return of Frankenstein ou Bride of Frankenstein dans les journaux de l'époque. The Universal Weekly du 5 janvier 1935, établit même que le film "s’appellera bien The Return... car la créature ne s'appelle pas Frankenstein" ; l'édition du 19 janvier revient sur cette assertion pour imposer Bride.... On pourrait tout à fait penser que la fiancée du titre est la compagne du docteur, Elizabeth. Cependant, Ernest Thesiger désigne clairement "The Bride of Frankenstein" comme étant le personnage rapiécé à la mèche blanche tourbillonnante interprétée par Elsa Lanchester.

Whale commence le tournage le 2 janvier 1935, jusqu'au 7 mars. Le film a souffert de la censure ; certes, la MPAA existe depuis 1922 et émet ses souhaits de coupes depuis lors. Mais, à partir de 1934, elle se dote  du Code de Production cinématographique, qui resserre encore plus l'étau des libertés du cinéaste. Ainsi, les plans sur le décolleté de Elsa Lancaster (Mary Shelley dans le prologue et la fiancée du titre, avant d'incarner la fiancée) furent enlevés, et le nombre de morts directs ou hors-champ fut réduit de vingt-et-un à neuf. Les préoccupations de la MPAA pour la morale des spectateurs concernent également les atteintes portées à la religion, et veille à faire supprimer les jurons et les paroles qui lui sont contraires. Cependant, certaines coupes concernant des intrigues secondaires ne sont a priori pas un mal, tant le film et ses 1h15 tient du miracle aujourd'hui encore. La présence raréfiée de la créature, le prologue faisant revivre le trio Mary Wollstonecraft, Lord Shelley et Lord Byron, la tonalité volontairement expressionniste des décors, telle la forêt aride peuplée de tronc d'arbres dénudés, ou encore les toiles peintes (jamais on ne nous montre un vrai ciel) en fait un pur moment de cinéma. Whale, laissé libre, peut parfaire son art de la mise en scène, opérant un découpage dynamique (on retrouve les cadrages et montages progressifs typiques lors de l'apparition d'un nouveau personnage), imprimant dès qu'il le peut du mouvement à sa caméra. On saisit dès lors l'évolution entre Dracula et ses cadrages statiques, et La Fiancée de Frankenstein ; l'énergie déployée à la mise en scène était déjà très présente dans L'Homme invisible.

Enfin, on ne peut parler de La Fiancée de Frankenstein sans dire un mot sur sa musique. Franz Waxman compose une musique variée, tantôt légère (Prologue - Menuetto and storm), grand-guignol (Danse Macabre) et effrayante (Monster Entrance). James Bernard se souviendra de cette dernière lorsqu'il écrira la musique des films marquants de la Hammer, relecture de ceux de la Universal, entre fin 1950 et fin 1960. Plus que cela, on perçoit une nette évolution dans le cycle des films de monstres Universal : Dracula, au début des années 30, ne bénéficie que d'une musique d'introduction et de fermeture, qui plus est déjà existante, issue du Lac des cygnes. La Fiancée... est le premier exemple du cycle a comprendre une partition aussi élaborée. La musique y est omniprésente, accompagnant chaque action, donnant un sens à chaque moment. Les personnages y ont chacun leur thème, illustrant par là le film dans la tradition musicale hollywoodienne pour les décennies à venir.

Le film sort le 6 mai 1935 sur les écrans américains. Malgré une aura critique immédiate, n'a pas été le succès public escompté, tout du moins à la hauteur des précédents succès du studio. Engrangeant 2 millions de dollars pour une mise d'un peu plus d'un million, le bénéfice n'est en effet pas aussi colossal que pour le premier épisode.


Disponibilité vidéo : Blu-ray / Ultra HD / DVD - éditeur : Universal Pictures France

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