Le Monstre de Londres (Stuart Walker, 1935)
En 1935 sort sur les écrans la première version parlante d'une histoire de loup-garou. Si elle est bien moins connue que celle réalisée six ans plus tard par George Waggner, c'est certainement car son casting a moins d'éclat. Pour autant, le film ne manque pas de mérite.
Depuis quelques années, la Universal, sous la direction de Carl Laemmle Jr., enchaîne les succès dans le registre des films de monstres. En dehors des Universal Monsters les plus connus, d'autres films creusent la même veine, volontiers gothique ou extravagante : Double assassinat dans la rue Morgue (Robert Florey, 1932), La Maison de la mort / Une Soirée étrange (The Old Dark House, James Whale, 1932), Le Chat Noir (Edgar G. Ulmer, 1934). Des cinéastes clés se révèlent et des acteurs seront liés irrémédiablement aux personnages qu'ils interprètent : Bela Lugosi avec Dracula, Boris Karloff pour Frankenstein. James Whale, le cinéaste le plus en vogue d'Universal pour ce cycle, amène avec lui un groupe d'acteurs et d'actrices qu'on croise de films en films : Claude Rains, Colin Clive, Una O'Connor, Dwight Frye, ...
Le botaniste Wilfred Glendon (Henry Hull) participe à une expédition au
Tibet pour trouver la Mariphasa, une variété rare qui ne fleurit qu'à la
pleine lune. Il est alors attaqué par un animal mystérieux. De retour à
Londres, il subit une transformation les soirs de pleine lune, tandis que la ville est secouée par une série de meurtres...
De façon étonnante, Le Monstre de Londres, tourné en plein dans la période faste des Universal Monsters, n'embarque ni tête d'affiche connue du reste du cycle. Tout au plus, on note évidemment la présence de Valerie Hobson, déjà au générique de La Fiancée de Frankenstein, comme de The Mystery of Edwin Bloom, ce dernier déjà réalisé par Stuart Walker, sorti début 1935. Des années plus tard, Valerie Hobson jouera le rôle féminin principal dans l’excellent Noblesse oblige (Kind Hearts and Coronets, Robert Hamer, 1949) aux côtés de Dennis Price et Sir Alec Guiness.
En réalité, un projet autour de la figure mythique du loup-garou est en gestation depuis plus longtemps. En 1932, un projet est sur les rails, avec Boris Karloff dans le rôle de la créature et Robert Florey à la réalisation. Ce projet ne se concrétisera jamais ; encore une fois, le réalisateur d'origine française manquera peut-être une occasion de diriger un film marquant pour la Universal. En 1934, le film est relancé, d'abord annoncé avec un casting plus habituel : Bela Lugosi devait au départ incarner le rôle du professeur Yogami ; rôle finalement tenu par Warner Oland, très populaire à l'époque pour son rôle dans les films Charlie Chan. Son visage pouvant passer pour asiatique, il incarna de nombreux personnages typés, comme ce fut le cas dans Shanghaï Express (Joseph Von Sterberg, 1932) et toute une série de films consacré au personnage de Fu Manchu à partir de 1929 pour la Paramount. Le tournage du film se déroule du 28 janvier au 23 février 1935 ; la censure de la MPAA mit son grain de sel, notamment dans les scènes de transformation en loup-garou.
Henry Hull et Warner Holand |
Le film montre un certain nombre de passages obligés, ainsi que certaines règles pour la première fois, dont beaucoup prévaudront dans les versions ultérieures du mythe (transformation à la pleine lune, transmission de la lycanthropie par morsure). Pour autant, le film ne mise pas tant sur le monstre et l'aspect horrifique, mais bien sur le drame et les conséquences de l'accident. Peut-être est-ce pour cela que le film a moins de postérité que les autres Universal Monsters ; un récit moins emphatique et exubérant que ceux de son illustre fratrie. Le fardeau de la malédiction est porté par Henry Hull de façon rentrée, peu spectaculaire. Il se coupe de toute relation, pourtant bien conscient des conséquences, notamment pour son couple. Son air appliqué et son intérêt uniquement focalisé sur ses recherches et sa renommée montrent de façon évidente que son retrait des relations au monde pré-existaient à l'accident : la lycanthropie comme justice divine ? Dans la première scène du film, située au Tibet (mais tourné au nord de Los Angeles, dans le parc naturel de Vasquez Rocks), un moine essaie d'ailleurs vainement de décourager le docteur Glendon et son assistant de faire demi-tour.
La tragédie prend le pas sur la représentation graphique de l'horreur ; Le Monstre de Londres déploie à l'opposé une certaine énergie à montrer des personnages comiques ; à commencer par un duo de vieilles dames propriétaires, qui n'hésitent pas à se taper dessus régulièrement (au point de s'assommer), véritable petit running gag qui parcourt le film ; l'aristocrate Ettie Coombes ensuite, qui s'amuse à se faire peur lors de l'exposition de botanique du docteur Glendon. Ces passages comiques, dans la continuité de ce qu'a pu mettre en scène James Whale dans ses films (à l'aide des personnages secondaire Una O'Connor ou Dwight Frye), sont tout à fait payants ici. La tragédie et la comédie se marient fort bien dans cette histoire qu'on pourrait qualifier de fantastique d'intérieur (très peu de scènes à l'air libre, qui emprisonne les personnages et leurs destinées).
Une autre dimension que l'on retrouve à l'identique des autres films du cycle Universal Monsters ; il s'agit du classique triangle amoureux, qui charpente le drame. Lisa Glendon (Valerie Hobson), la femme du docteur Glendon, est courtisée par un ami d'enfance, Paul Ames (Lester Matthews, qu'on voit la même année dans Le Corbeau aux côté de Karloff et Lugosi). On devine rapidement que l'attraction est mutuelle ; cependant Miss Glendon, respectueuse des conventions sociales, repoussera les avances de son prétendant. Encore une fois, et malgré la ténacité de cet aspect dans les Universal Monsters, ce ressort scénaristique y a toute sa place. Henry Hull, dans le rôle du scientifique, manque de charisme, et n'est guère aidé par un jeu, comme on l'a mentionné ci-dessus, rentré. A contrario, Warner Oland et Valerie Hobson accrochent plus l’œil de la caméra. Henry Hull aura pour autant plus tard une longue carrière de seconds rôles au cinéma ; on le verra notamment dans La Grande évasion (High Sierra, Raoul Walsh, 1941), Lifeboat (Alfred Hitchcock, 1944) ou encore Le Portrait de Jennie (Portrait of Jennie, William Dieterle, 1949).
Henry Hull et Valerie Hobson |
Au fur et à mesure des années 30, les films sont de plus en plus mis en musique, celle-ci jouant un important rôle d'ambiance et de soutien de l'action, primordial dans un film de genre. ici, les airs marquantes sont en fait extraites de précédents films Universal, L'Homme invisible (James Whale, 1933) et Le Chat noir (Edgar G. Ullmer, 1934) et composées par Heinz Roemheld. Le compositeur officiel sur le film était Karl Hajos.
Techniquement, si le film ne fait pas d'étincelles, quelques séquences sont remarquables, notamment celle de la première transformation en faux plan-séquence ; le scientifique se changeant peu à peu, déambulant entre plusieurs piliers de sa demeure, en loup-garou. Aujourd'hui encore, le tempo de cette scène est parfaite. Le maquillage, réalisé par Jack Pierce, diffère de celui qu'il créera quelques années plus tard pour Lon Chaney Jr. Il apparaît moins envahissant, permettant d'ailleurs à d'autres personnages du film de reconnaître le visage du docteur Glendon sous les crocs du loup-garou. Aux effets spéciaux, on retrouve ni plus ni moins que John P. Fulton, le magicien qui a fait croire que l'homme invisible existait au cinéma ; des cautions on ne peut plus valables pour ce film.
Alors que la suite tant attendue de Frankenstein, La Fiancée de Frankenstein, est sortie depuis le 6 mai, Le Monstre de Londres est distribué à partir du 3 juin 1935 sur le territoire américain. Il n'eut pas de succès, ce qui n'empêcha pas le studio de revenir à la lycanthropie avec Le Loup-garou réalisé par George Waggner en 1941. Le Monstre de Londres mérite amplement d'être redécouvert ; il est réalisé solidement et offre un premier ancrage déterminant dans la série de films sur les loups-garou au cinéma. Pour celui-ci, vous n'aurez d'ailleurs pas un, mais bien deux loups-garous !
Disponibilité vidéo : Blu-ray / DVD - éditeur : Elephant Films
Sources bibliographiques :
Universal Horrors, The studio's classic films, 1931-1946 /
Commentaires
Enregistrer un commentaire