Peter Ibbetson (Henry Hathaway, 1935)

 Peter Ibbetson (Henry Hathaway, 1935) film poster

On débute ce film romanesque avec tranquillité, en pensant regarder un de ces films hollywoodiens de l’époque, une sorte de conte, aux accents philosophiques, et un poil ennuyeux, se dit-on, avec ce couple de très jeunes enfants dont l’attachement et l’éloignement forcé est montré simplement, tout en étant déchirant. Le garçon devant partir, la petite fille s’interposant symboliquement entre la figure du père et de Gogo -surnom du personnage qui deviendra Peter Ibbetson-, en lui prenant la main. Ces scènes sont bien jouées par le couple d’enfants, ce qui sauve quand même cette première partie de la sensation que la narration doit vite passer à autre chose. La seconde partie, qui nous fait voir Peter Ibbetson à l’âge adulte, opère déjà une attraction plus forte, le voyant hanté par le souvenir de Mimsey, la petite fille de son enfance.

Le film constituant ce que l’on appelle un film d’époque, nécessite des costume qui donne un peu de préciosité à l’ensemble : la mise en scène semble évoluer dans un monde fabriqué, à l’image des maquettes que façonne Ibbetson pour illustrer ses plans d’architecte. Une fois les deux amants remis sur la même longueur d’onde, même s’ils ne s’en aperçoivent pas tout de suite, leur vie en est simplement changée, mais ce changement majeur n’est pas montré comme tel : les émotions n’affleurent presque pas pour montrer l’attachement renouvelé des amants, comme si c’était une évidence. Après avoir vu pas loin d’une heure du film, tout tout très découpé, très maîtrisé ; mais l’étrange survient tout de même de temps , faisant de ce Peter Ibbetson une œuvre à part.

La grande idée qui jaillit du film (et d’abord du roman de George Du Maurier adapté pour l’occasion, puis de la pièce signée John Nathaniel Raphael) est celle-ci : les deux amants ne savent pas vraiment qui ils sont quand ils se retrouvent, et connectent avec cette réalité par l’échange d’un rêve commun. Et là, on entre quand même dans le cercle très fermé des motifs que j’aime le plus au cinéma (si ce n’est el numero uno), le temps du rêve. 

Disons tout net que la dernière demi-heure du film est absolument fantastique, hallucinante d’évocation et pleine d’une vérité du rêve tel qu'on peut l'expérimenter (tout en étant si intangible) que c’en est troublant. Gary Cooper / Ann Harding déambulant dans leur monde rêvé, se retrouvant chaque fois que le sommeil vient, se trouvant liés par l’amour telles des âmes-sœurs, ou plutôt des âmes jumelles, est un moment de cinéma assez exceptionnel.

Gary Cooper et Ann Harding dans Peter Ibbetson (Henry Hathaway, 1935)
Gary Cooper, Ann Harding

L'interaction rêve / rêveur ayant conscience de rêver, est montré à l'aide d'un échange magnifique, quand Peter dit : "j'ai peur que tout cela disparaisse", ce à quoi Mimsey répond "ne dis pas cela, sinon cela va se produire", induisant le pouvoir détenu par les rêveur dans leur monde. Quelques instants plus tard, la preuve de ce pouvoir : une montagne explose littéralement. Christopher Nolan tient là une de ces inspiration pour son Inception (2010). Incarnant l’amour fou, révéré par les surréalistes, le film se révèle à cet instant. Rien que pour sa dernière partie, le film vaut finalement bien le statut de chef-d’œuvre. Et on se rend compte que finalement, la première partie n’est que le terreau nécessaire à l’expression juste de l’amour du couple. Le générique d'ouverture, d’ailleurs, fait le lien avec la thématique du rêve, les incrustations apparaissant et disparaissant sous d’oniriques brumes vaporeuses.

Le roman de George Du Maurier avait déjà été adapté en 1922 ; le film s'appelait Forever, réalisé par George Fitzmaurice, avec les acteurs Wallace Reid et Elsie Ferguson. Le film est aujourd'hui considéré comme perdu.
Pour la version qui nous intéresse aujourd'hui, c'est en réalité Richard Wallace qui devait réaliser le film. À l'époque, il vient de mettre en scène The Little Minister pour la RKO, avec Katharine Hepburn. Cooper, qui a déjà travaillé avec Hathaway, a quelque appréhension sur son personnage et réussit finalement à imposer Hathaway qu'il imagine plus apte à rendre cette histoire crédible.

Disponibilité vidéo : Blu-ray / DVD FR - éditeur : BQHL

 

Peter Ibbetson (Henry Hathaway, 1935) title screen image


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