Six femmes pour l'assassin (Mario Bava, 1964)

Six femmes pour l'assassin (6 donne per l'assassino, Mario Bava, 1964) affiche française


Si La Fille qui en savait trop (Mario Bava, 1960) pose les base d'un genre et constitue un proto-giallo, Six femmes pour l'assassin est l'acte fondateur de ce genre codifié qui aura droit à son âge d'or au début des années 70, avec les premiers films de Dario Argento ; on remarque d'ailleurs des citations de Six femmes pour l'assassin dans toute la filmographie du cinéaste transalpin.

Dans une maison de haute couture, un défilé se prépare. Isabella, un des modèles, s'absente et ne reviendra jamais : elle est assassinée non loin de l'atelier par un individu vêtu de noir de pied en cap, masqué et ganté, le visage dissimulé sous un collant couleur chair. D'autres personnages subiront le même sort : le tueur a un secret à protéger et compte bien éliminer tous ceux qui pourraient l'éventer.

Si l'entourage de la jeune fille décédée n'a rien vu, le spectateur, lui, ne rate pas un instant de la mise à mort. Les meurtres sont le clou du film, instants de violence chorégraphiés et dotés d'une mise en scène extrêmement travaillée. Les couleurs, intenses, l'expression de terreur sur les visages de victimes, chaque détail des vêtements, de l'arme de crime construisent un film fétichiste.

La caméra, très mobile, décrit des arabesques racées dans des décors aux couleurs expressionnistes, constellés de mannequins et de portants omniprésents. Des rideaux délimitent souvent les espaces dans la maison de couture, théâtralisant l'action tout en l'enfermant sur elle-même.

Ariana Garini et Claude Dantes dans Six femmes pour l'assassin (Sei donne per l'assassino, Mario Bava, 1964)
Ariana Gorini, Claude Dantes

 

Le giallo emprunte à Alfred Hitchcock dans la mise en scène, notamment les gros plans sur des objets-clés ; le suspense s'installe, le temps est suspendu. Ici, c'est autour d'un sac noir qui contient un journal intime que tous les personnages s'agitent. Pour autant, ils ne bougent pas vraiment : ils sont souvent filmés comme figés dans une posture d'effroi ou de crispation. Dès le générique d'ouverture, chaque individu est d'ailleurs présenté, immobile sous une lumière colorée, aux côté d'un mannequin tout aussi figé. La fixation sur des personnages immobiles, déjà morts, est à la fois morbide et factice, faisant de Six femmes pour l'assassin une sorte de roman-photo déviant.

La force visuelle de Six femmes pour l'assassin est telle que le film pourrait être visionné sans le son ; l'essentiel de l'intrigue est figuré par la mise en scène, les sensations et émotions soulignés par la couleur et les mouvements de la caméra ou des éléments intra-image. Les expressions des personnages, leur maquillage, coupe de cheveux, vêtements, comprennent intrinsèquement suffisamment d'indices pour suivre le déroulement du film. 

Les couleurs de Mario Bava et de son chef opérateur, Ubaldo Terzano, explosent à l'écran. Elles s'affranchissent de tout réalisme et composent une rêverie colorée qui tourne au cauchemar. Les deux hommes colorent plus qu'ils n'éclairent le film. Un travail pictural qu'on retrouvera trait pour trait dans Suspiria (Dario Argento, 1977).

L'intrigue en elle-même n'intéresse pas vraiment Mario Bava ; elle n'apparaît que comme un prétexte à la monstration des meurtres. La trajectoire des personnages semble évoluer en vase clos. Toutes et tous sont prisonniers des secrets potentiels que le journal intime pourrait dévoiler (tel un macguffin hitchcockien, son contenu sera toujours poursuivi alors même qu'il a été détruit). Six femmes pour l'assassin incarne la suprématie de la forme sur le fond.

Ariana Gordini dans Six femmes pour l'assassin (6 donne per l'assassino, Mario Bava, 1964)
Ariana Gorini dans le vertige des couleurs

Les morts s'enchaînent, la mise en scène pointe vers des suspects qui se font malgré tout occire au rythme d'un métronome dans des séquences  aux excès graphique très inventifs. Ainsi, une des jeunes filles périra sous les coups d'une griffe métallique quand une autre aura son visage brûlé vif à même un poêle rougeoyant. 

Héritier des krimis allemands, Six femmes pour l'assassin a peut-être été plus directement inspiré par un film suédois,  Le Belle en rouge / Le Mannequin en rouge (Mannekäng i Rött), réalisé par Arne Mattsson en 1958, comme le souligne Tim Lucas dans son livre-somme sur le cinéaste, Mario Bava : All the Colors of the Dark. On y retrouve une intrigue et un lieu principal similaire ; Bava va cependant bien plus loin dans le représentation de la violence et dans le raffinement visuel. 

Le film a été tourné en six semaines sous le titre de travail L'atelier della morte, entre la fin novembre 1963 et janvier 1964, en coproduction entre l'Italie, la France et l'Allemagne. On retrouve au casting une distribution internationale, entre l'américain Cameron Mitchell (Massimo Morlacchi), la britannique Eva Bartok (comtesse Cristina), l'allemand Thomas Reiner (inspecteur Silvestri) ou encore l'italien Luciano Pigozzi, souvent surnommé le Peter Lorre italien en raison de sa ressemblance avec l'acteur de M le maudit. Malgré ces différentes nationalités, le film a été intégralement tourné en langue anglaise. Le budget de 180 millions de lires, similaire à celui du Moulin des supplices de Giorgio Ferroni tourné quelques années plus tôt, est moindre que certains des précédents films de Bava, comme Le Masque du démon. Le succès ne fut pas vraiment au rendez-vous, au niveau mondial comme en Italie ; la sortie française attira 242 000 spectateurs.

Le tueur de Six femmes pour l'assassin (6 donne per l'assassino, Mario Bava, 1964)
Le tueur sans visage, véritable personnage principal du film

Longtemps invisible, Six femmes pour l'assassin est ressorti en vidéo en 2018 en France chez StudioCanal (une édition aujourd'hui épuisée), dans une restauration 2K au format 1.66 : 1, qui posait question. En effet, la fiche IMDb du film indique comme intended ratio (format d'origine) le 1.85 : 1. L'éditeur anglais Arrow Video, après avoir édité cette même restauration en Blu-ray il y a quelques années au format 1.66 : 1, vient de sortir en septembre 2023 une nouvelle version restaurée en 4K, au format d'origine 1.85 : 1. Le film n'a certes jamais été aussi beau, les couleurs sont vibrantes, les contours précis. La question du format d'origine reste cependant posée, car on peut voir après une scène de meurtre la victime -censément décédée donc- cligner de l’œil au bord du cadre... tic fâcheux qui disparaît dans la version au format 1.66 : 1. Devant l'attention maniaque déployée par Mario Bava pour composer son cadre, cela ne "cadre" pas. Pour autant, le format 1.85 : 1 offre plus d'images sur les côtés, ce qui ne coupe plus les acteurs : le cadrage originel semble donc bien être celui-ci.

Six femmes... est une date dans l'histoire du giallo en Italie, auparavant peu vu et maintenant disponible dans une version définitive (précision, uniquement parée de sous-titres anglais). StudioCanal n'a plus qu'à sortir la version 4K en France !

Disponibilité vidéo : Blu-ray zone B - éditeur : StudioCanal (épuisé) ; édition UK Blu-ray / UHD: Arrow Video (sous-titres anglais uniquement). 

Sources bibliographiques :
Mario Bava : All the Colors of the Dark / Tim Lucas, 2007
Mario Bava, un désir d’ambiguïté / Alberto Pezzotta, 2018
Une étude en jaune : giallos et thrillers européens / Frédéric Pizzoferrato, 2021
Bonus et livret de l'édition vidéo UK et FR du film.


Six femmes pour l'assassin (6 donne per l'assassino, Mario Bava, 1964) image titre


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