La Chambre des tortures (Roger Corman, 1961)
Le succès couronna La Chute de la maison Usher (Roger Corman, 1960) ; les producteurs d'American International Pictures ne traînèrent pas pour demander au réalisateur un autre film inspiré d'Edgar Allan Poe, sans pour l'instant conceptualiser une véritable série. C'est The Pit and the Pendulum qui fut choisi : le film constitue une des plus belles pages du cycle en formation.
Deux mois après la sortie de La Chute de la maison Usher, La Chambre des tortures fut donc annoncé comme le prochain film de Roger Corman consacré à une adaptation de Poe. Ce n'était pourtant pas le premier choix du réalisateur / producteur, qui souhaitait faire Le Masque de la mort rouge (il finira par le tourner en 1964). Corman juge à l'époque que la sortie du Septième sceau de Bergman compromet l'originalité de son projet en décelant une similitude sur la représentation de la Mort.
Au scénario, le grand Richard Matheson (La Quatrième dimension, L'Homme qui rétrécit) ne peut se contenter d'adapter Le Puits et le pendule, la nouvelle de Poe ; le texte fait à peine une dizaine de pages et constituera in fine la dernière scène du film - le fameux supplice du pendule. Pour le reste, Matheson invente une histoire qui a toute la saveur d'un texte de Poe, avec malédiction familiale, emmurée vivante et autre culpabilité morbide. Il adapte pour l'occasion une idée qu'il destinait pour un futur roman, qu'il aurait intitulé The House of the Dead.
Don Medina (Vincent Price, excessif jusque comme il faut) est hanté par son héritage familial rouge sang et la mort prématurée de sa femme, Elizabeth (irréelle Barbara Steele). Le frère de celle-ci, Francis Barnard (John Kerr), se rend au château de Medina pour investiguer cette étrange disparition.
Une nouvelle fois, le fantastique gothique s'illustre ici formidablement, le décor du château sublimé par la photographie de Floyd Crosby, à l’œuvre sur la quasi-totalité du cycle. Les angles de caméra, ainsi que le traitement particulier des flashback ajoutent un côté pop et onirique à ce conte glaçant. Ces tableaux monochromes rehaussés à la gélatine pour illustrer les souvenirs de Don Medina sont superbes, convoquant à la fois le passé de l'histoire du film, tout comme l'origine du cinéma (les films noirs et blanc teintés). Le générique d'ouverture constitue en cela une note d'intention claire : de la peinture coule dans le cadre, la rencontre de plusieurs couleurs provoquant un trip visuel avant-gardiste. On retrouve bien ici l'idée sous-jacente du cycle, qui vient de Corman, de faire la peinture d'un subconscient hanté par la mort et les fantômes. La séquence est soutenue par une musique atmosphérique de Les Baxter ; ce dernier accompagnera également Corman sur l'ensemble de la série. Il signe ici une de ses plus belles compositions.
Barbara Steele |
Si Vincent Price paraît hanté, si Barbara Steele incarne un esprit frappeur bien trop réel -malgré un temps de présence à l'écran réduit-, c'est aussi grâce à la lugubre demeure qu'ils occupent ; le château semble garder trace des outrages passés. Sa vision dans les premières minutes du film, appuyée par la suite par de somptueux matte painting signés Albert Whitlock, est très marquante. Le château est un personnage à part entière, ses couloirs, coins et recoins, salles secrètes et autres portes dérobées jouent un rôle déterminant dans le déroulement de l'intrigue. Le décor devient même un sujet à part entière : Don Medina décrit à plusieurs reprises les spécificités du château, notamment lorsqu'il présente à John Kerr sa chambre, ou décrit les instruments de tortures du sous-sol. Dès lors, les va-et-vient des personnages entretiennent le suspense sur ce qui est vraiment à l’œuvre. On notera d'ailleurs la ressemblance (voulue ?) entre Antony Carbone (Dr. Leon) et Patrick Westwood (le majordome Maximilian), qui participe aussi au flou ambiant.
L'édition britannique du film, sortie chez Arrow Video, offre une friandise de choix : une séquence qui fut filmée spécialement pour la diffusion télévisée du film en 1968. Elle dure 5 minutes et montre Luana Anders, qui incarne la sœur de Don Medina - Vincent Price, internée après les terribles événements qui ont précédé.
Si Tim Burton a été inspiré par les productions Hammer, il a sûrement beaucoup apprécié le cycle Corman / Poe, et cette Chambre des tortures en particulier. La présence de la vierge de fer, cet instrument de torture qui emprisonne et transperce les corps, est un artefact qui le fascine (on peut le voir dans Sleepy Hollow, la légende du cavalier sans tête, son hommage au fantastique gothique). Dans la chambre des tortures, Barbara Steele retrouve d'ailleurs cet instrument funeste après en avoir été la victime dans Le Masque du démon (Mario Bava, 1960). La Chambre des tortures, avec La Chute de la maison Usher, a clairement donné le coup d'envoi de toute une série de films fantastiques gothiques italiens, souvent avec Barbara Steele : citons par exemple Danse macabre (Danza macabra, Antonio Margheriti, 1964), Les Amants d'outre-tombe (Mario Caiano, 1965), ou encore La Vengeance de Lady Morgan (Massimo Pupillo, 1965).
Le tournage, tourné en 15 jours au début de l'année 1961, permet une sortie en août de la même année. Pour un budget estimé entre 200 et 300 000 dollars, La chambre des tortures en rapporta 2 millions : une très bonne opération financière pour Corman et l'AIP... qui se solde par la rapide mise en chantier de l'opus suivant du cycle : L'Enterré vivant.
Disponibilité vidéo : Blu-ray / DVD zone 2 FR - éditeur : Sidonis / Blu-ray zone B UK (sous-titres anglais uniquement) - éditeur : Arrow Video
Sources bibliographiques :
Roger Corman, Edgar Allan Poe : les démons de l'esprit / Marc Toullec, 2022
Livret et bonus de l'édition Arrow Video
L'Écran Fantastique Vintage n°14 : Roger Corman, un talent monstre / Frédéric Pizzoferratto, 2023
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