Le Masque de la mort rouge (Roger Corman, 1964)

Affiche du film Le Masque de la mort rouge (The Masque of the Red Death, Roger Corman, 1964)

 Le prince Prospero (Vincent Price) tyrannise les villageois de son fief, en Italie. Adepte de la sorcellerie, il a prêté allégeance à Satan, tout comme son épouse Juliana (Hazel Court). Cependant, un homme vêtu de rouge apparaît à une vieille femme : il prophétise la fin de règne de Prospero. Avec lui arrive la mort rouge, qui tue instantanément les contaminés. Prospero continue, pendant ce temps, à organiser des festivités dans son château pour les nobles des alentours. 

Le voilà enfin, cet opus tant attendu : Roger Corman souhaite porter à l'écran cette nouvelle d'Egar Allan Poe depuis le début du cycle, et il aurait pu le faire à la suite de La Chute de la maison Usher. Prévu initialement dès 1961, Corman lui-même avait retardé sa réalisation en raison d'une similitude trop grande à ses yeux avec Le Septième sceau d'Ingmar Bergman (1957). À plusieurs reprises, le scénario n'était pas satisfaisant aux yeux de Corman. Charles Beaumont, collaborateur habitué du réalisateur, n'apporte pour une fois pas satisfaction : le réalisateur s'adjoint les services de Robert Wright Campbell, un des collaborateurs régulier lui aussi, et des éléments d'une autre nouvelle de Poe, Hop Frog, sont incorporés à ceux du Masque de la mort rouge


Image du film Le Masque de la mort rouge (The Masque of the Red Death, Roger Corman, 1964)
Une mystérieuse apparition prophétise la fin proche de Prospero

 

Le changement majeur de cette production est sa délocalisation en Angleterre, et plus précisément aux studios d'Elstree, au nord de Londres. C'est ici que se tourneront quelques années plus tard les films de la Hammer. Corman délaisse ainsi la Californie, pour des raisons économiques : en tournant en Angleterre, et en employant au moins 85% de l'équipe du film localement (techniciens comme acteurs), le film pouvait bénéficier des subventions et des allègements fiscaux du programme Eady, une incitation du gouvernement britannique à produire des œuvres cinématographiques sur le territoire. Le film bénéficia d'un budget plus confortable de 400 000 dollars, le plus important des adaptations de Poe. Le tournage s'étala sur cinq semaines, contre les 15 jours habituels consacrés à chaque film du cycle. Le film devient alors une co-production anglo-américaine. Floyd Crosby, pour des raisons de quota, ne pu reprendre son poste de directeur de la photographie, qui échut à Nicolas Roeg. Le futur réalisateur de Ne vous retournez pas ou L'Homme qui venait d'ailleurs, très reconnu pour son travail de directeur photo, fit des merveilles sur le tournage du Masque de la mort rouge

Daniel Haller, le chef décorateur, réussit à mettre sur pied des décors encore plus beaux q'à l'accoutumée,  notamment en réutilisant des éléments de décors d'un précédent film tourné à Elstree, le Becket de Peter Glenville avec Richard Burton et Peter O'Toole. Ils donnent un cachet très luxueux à l'ensemble, captant bien l'opulence dans laquelle se complaît Prospero. 

Hormis Vient Price, l'intégralité du casting est anglais, à cause (ou grâce ?) au programme Eady. Et quel distribution : Patrick Magee (Les Criminels et The Servant de Losey, plus tard Orange mécanique de Kubrick, ...) parfait en membre du premier cercle de Prospero, Nigel Green qu'on verra dans L'Île mystérieuse, Jason et les Argonautes ou dans le rôle de Nayland Smith dans Le Masque de Fu Manchu. Du côté des dames, Hazel Court et la jeune Jane Asher apportent beaucoup de subtilité à l'histoire. Les astres s'alignent pour Le Masque de la mort rouge : ainsi, ce récit qui tenait tellement à cœur à Roger Corman a été produit au bon moment, au bon endroit. Et, même si Corman s'en voudra de ne pas avoir eu un petit jour de tournage supplémentaire pour filmer avec plus de soin la danse macabre finale, il tient bien là le chef-d’œuvre du cycle.

Vincent Price et Jane Asher dans Le Masque de la mort rouge (The Masque of the Red Death, Roger Corman, 1964)
Vincent Price, Jane Asher

Dans ce récit qui se déroule uniquement la nuit, dans le château et au village, les différentes salles du château définissent l'espace mental de Prospero, entre les cachots, les chambres et la suite de pièces colorées qui mène à l'antichambre du Mal, le lieu qu'on ne peut pénétrer sans y avoir été convié. On assiste à un kaléidoscope hallucinatoire, où Vincent Price charme son auditoire tout en lui faisant subir les pires affronts. Le château de Prospero apparaît à la fois comme un refuge, dernier rempart contre la "mort rouge", une sorte de variante de la peste, mais c'est aussi une prison, pour ceux qui sont trop purs (la jeune Francesca, kidnappée puis "protégée" par Prospero) et ceux qui se rebellent contre la tyrannie (le père et le fiancée de Juliana). Prospero est aussi un paradoxe, qui n'est pas totalement mauvais. Il fait preuve d'esprit et d'intelligence, même si ceux-ci sont pervertis par son adoration du diable. 

Le film marque dès son entame, avec l'apparition rouge, qui a tous les traits d'un être surnaturel ; annonçant une prophétie, il rappelle les sorcières de Macbeth, le propos de Poe rejoignant les angoisses existentielles des personnages de Shakespeare : la peur de la mort, à la fois de son caractère inéluctable (sûrement Propero espère conjurer cet aspect en pactisant avec le démon) et l’imprévisibilité de son avènement. Ce qui parachève la démonstration du film est bien sûr que la mort avance masquée : c'est en courtisant ce que Prospero estime être un remède contre la mort qu'il précipitera sa fin, et celle de tous ceux qui l'ont suivi.

Les rapports de force entre les puissants et ceux qui n'ont rien, les laissés pour compte, est aussi bien illustré par le tour que jouera Quasimodo à Alfredo (Patrick Magee). L'onirisme total du film, enfermé sur lui-même, en fait un pur objet d'art, à l'instar de Suspiria (Dario Argento, 1977). Trop artistique certainement pour un film de série de l'AIP, tant il n'a pas su attirer les foules lors de son exploitation en salles. Roger Corman en restera très fier, à raison, et les coupes demandées pour la sortie salles seront réintégrée par la Film Foundation de Martin Scorsese lors de la restauration du film en 2018. Un film désormais accessible dans les meilleures conditions au sein du coffret Corman / Poe édité par Sidonis en 2022. 

 

Disponibilité vidéo : Coffret Blu-ray / DVD - éditeur : Sidonis (comprend les 8 films du cycle).

Sources bibliographiques :

Roger Corman, Edgar Allan Poe : les démons de l'esprit / Marc Toullec, 2022
L'Écran Fantastique Vintage n°14 : Roger Corman, un talent monstre / Frédéric Pizzoferratto, 2023


Image-titre du film Le Masque de la mort rouge (The Masque of the Red Death, Roger Corman, 1964)

 

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