La Tombe de Ligeia (Roger Corman, 1964)

La Tombe de Ligeia (The Tomb of Ligeia, Roger Corman, 1964) film poster


Verden Fell (Vincent Price) est un homme brisé par la mort de son épouse, Ligeia. Il rencontre alors Rowena (Elizabeth Sheperd), une jeune femme ressemblant étrangement à sa défunte épouse. Plus étrange encore, la présence de Ligeia ne semble pas avoir complètement quitté les lieux...

Roger Corman avait décidé que La Tombe de Ligeia serait son dernier Poe. Comme à son habitude, il fait de ce dernier opus un modèle de changement dans la continuité. Ligeia est à la fois un élément plein et entier du cycle Poe ; il constitue l'adaptation de la nouvelle éponyme, qui avait d'ailleurs déjà été traitée au sein du cycle dans le film L'Empire de la terreur (le segment Morella), ici remaniée et surtout augmentée par le scénariste Robert Towne (alors un protégé de Corman, il connaîtra le renommé avec le scénario encensé de Chinatown, puis plus tard avec Les Flics ne dorment pas la nuit, À Cause d'un assassinat, Yakuza, ...). Pour agrémenter la courte nouvelle, Towne compile les éléments récurrents de l'univers de Poe, déjà utilisés dans les autres films du cycle : chat noir, nécrophilie et folie, faisant de Ligeia une synthèse de la saga, sans oublier les fameux plans de la bâtisse en feu que Corman réutilise à l'envi au cours de la série (même si ils sont peu raccord ici avec l'abbaye en ruine). 

 

Vincent Price dans La Tombe de Ligeia (The Tomb of Ligeia, Roger Corman, 1964)
Vincent Price

On retrouve l'indéboulonnable Vincent Price dans le rôle principal, même si un acteur plus jeune et moins connoté aurait eu la préférence de Corman (et de Towne). Sam Arkoff est catégorique : sans Price, le succès ne serait pas forcément au rendez-vous, et sa présence reste, malgré ses détracteurs, un plaisir. Plus que cela : la présence hantée de Price, un poil surjouée comme à son habitude, fait partie intégrante de son charisme d'acteur, un des seuls à pouvoir endosser un personnage au passif aussi chargé.

Comme pour Le Masque de la mort rouge, Ligeia est tourné en Angleterre pour bénéficier du système Eady, financièrement très avantageux. Le film est donc une co-production AIP / Anglo-Amalgated ; cela permet à Corman de tourner cinq semaine durant à partir du 25 juin 1964.

La Tombe de Ligeia n'est pas avare en nouveautés, tant Corman a le souci de ne pas se répéter. Pour la première fois, le film se déroule pour une bonne partie en extérieur jour (plus précisément à l'abbaye de Castle Acre dans le Norfolk). La tonalité change donc fondamentalement, même si elle est, de la même façon que précédemment, hantée par la mort. Les murs de l'abbaye, à moitié détruits et érodés par les ans, ont l'air de ne plus appartenir au monde des vivants. Dès lors, les êtres qui la peuplent sont semblables à des fantômes, tels Verden Fell qui semble aspirer à la mort depuis la disparition de Ligeia. Price, trop vieux pour le rôle, revêt une perruque et des lunettes de soleil particulièrement mode, lui donnant une allure folle. Plus tard, Tim Burton utilisera un modèle similaire pour parfaire le look vampirique de Johnny Depp dans Dark Shadows. Plutôt logique : dans La Tombe de Ligeia, le personnage de Verden Fell, quasiment allergique au soleil, a tous les atours d'un prince de la nuit. 

 

La Tombe de Ligeia (The Tomb of Ligeia, Roger Corman, 1964)


Le travail pictural opéré sur le film est une réussite ; les contrastes entre les ciels, les ruines, plutôt ternes, et les vêtements, ainsi que la nature, très colorés, sont saisissants. Les teints de peau sont aussi finement composés au maquillage, et captés par le directeur photo Arthur Grant en Eastmancolor, que ce soit en extérieurs ou en intérieurs. 

Après les directions différentes prises au sein du cycle, La Tombe de Ligeia revient à la sourde terreur de La Chute de la maison Usher, avec une dimension moins démonstrative encore ; les errements psychologiques des personnages semblent plus intéresser que leurs ravages physiques à l'écran. Le film repose beaucoup sur la voix aux accents théâtraux de Vincent Price, souvent en voix-off, accentuant une épouvante feutrée et l'illustration d'une folie très littéraire, typique de Poe. 

 

La Tombe de Ligeia (The Tomb of Ligeia, Roger Corman, 1964)

Le parallèle entre Ligeia et le chat est aussi assez fin, celui-ci opérant comme une incarnation de Ligeia, un pouvoir qui rappelle encore une fois le prince des vampires. Sam Arkoff de AIP n'était tout de même pas très satisfait du film, de la même façon que pour Le Masque de la mort rouge qu'il trouvait trop arty. C'est pourtant un des meilleurs films du cycle dont Le Masque... est le sommet. 

La Tombe de Ligeia a eu le moins bon score de tout le cycle au box-office, et il restait l'un des  films favoris de Corman ; son achèvement stylistique et sa synthèse thématique en font un des plus grandes adaptations cinématographiques de Poe. En quatre ans, Corman aura tourné (entre autres !) ces huit films qui resteront à jamais une date dans le cinéma gothique américain : quel cycle !

Disponibilité vidéo : Blu-ray / DVD FR - éditeur : Sidonis

Sources bibliographiques :

Roger Corman, Edgar Allan Poe : les démons de l'esprit / Marc Toullec, 2022
Livret et bonus de l'édition Arrow Video
L'Écran Fantastique Vintage n°14 : Roger Corman, un talent monstre / Frédéric Pizzoferratto, 2023

La Tombe de Ligeia (Tomb of Ligeia, Roger Corman, 1964) image titre du film

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