L'Empire de la terreur (Roger Corman, 1962)

Affiche du film L'Empire de la terreur (Tales of Terror, Roger Coman, 1962)

L'Empire de la terreur, quatrième itération des adaptations d'Edgar Allan Poe par Roger Corman, est un film à sketches, compilant trois histoires : Morella dans lequel une jeune fille (Maggie Pierce) rend visite à son père (Vincent Price) après des années d'absence ; elle trouve une maison à l'abandon et son père perdu dans le souvenir de sa femme décédée. Puis c'est au tour du Chat noir (avec Vincent Price et Peter Lorre), un des récit les plus connu de Poe et La Vérité sur le cas de M. Valdemar (avec Vincent Price, Basil Rathbone et Debra Paget).

Le film est marqué par le sceau du  changement. Corman voyait la routine s'installer -une routine qui ne déplaisait pas le moins du monde à American International Pictures (AIP) au vu des profits engrangés, bien au contraire- et souhaitait faire évoluer la formule. C'est ainsi que Corman choisi la forme de l'omnibus -une suite plusieurs histoires-, ce qui permettait notamment de résoudre un problème récurrent, à savoir : devoir étoffer les textes de Poe, courts par essence, pour pouvoir tenir la durée d'un long-métrage (cela n'empêcha pas Corman, dans le segment dédié à la nouvelle Le Chat noir, de mélanger une autre nouvelle de Poe, La Barrique d'Amontillado). l'omnibus n'était pas du tout répandu à l'époque dans le genre fantastique. Cela sera quelques années plus tard la marque de fabrique de la firme britannique Amicus, concurrente de la Hammer Film, avec des films comme Le Train des épouvantes (Freddie Francis, 1965) ou Asylum (Roy Ward Baker, 1972). Cependant, contrairement aux films pré-cités, aucune histoire ne vient englober les trois autres, comme ce sera de coutume dans la tradition des films à sketches, notamment à la Amicus. Dans L'Empire de la terreur, la voix de Vincent Price présente brièvement chaque histoire à suivre.

L'autre nouveauté, et non des moindre, est l'inclusion d'une dimension comique totalement assumée dans le deuxième segment, Le Chat noir. Peter Lorre et Vincent Price, rivalisant d'excès, font du récit de Poe une comédie. Un aspect qu'on a déjà pu découvrir dans certaines œuvres antérieures de Roger Corman, comme dans Un baquet de sang, film dans lequel un homme en mal de reconnaissance (Dick Miller) tue des gens pour en faire des sculptures. Le film se veut ici plutôt satirique, mais l'humour noir est bien servi ici ; la tendance continuera dans Le Corbeau (1963). En fait, c'est une inversion totale par rapport aux autres films du cycle : alors que ceux-ci sont des films d'épouvante teintés d'humour, Le Chat noir est une comédie teinté d'horreur.

L'Empire de la terreur - sketch Morella (Tales of Terror, Roger Corman, 1962)

Roger Corman retrouve l'équipe habituelle pour ce film : Richard Matheson au scénario, Daniel Haller aux décors, Floyd Crosby à la photographie et Les Baxter à la musique. La volonté de proposer trois histoires séparées est plutôt payante ; elle varie les plaisirs, tant pour le spectateur que le réalisateur et les acteurs. Et, si on peut écarter assez facilement le premier segment, trop étriqué, manquant de relief (alors que la nouvelle d'origine est empreinte de mystère et de surprise), Richard Matheson confiera que le segment aurait dû être plus long, pour donner plus de consistance à la relation entre le père et sa fille. Le problème principal venait de tout façon d'autre part : l'actrice Maggy Pierce y donnait une performance trop fade. Le segment central, Le Chat noir, est celui que tous les spectateurs retiennent, notamment pour la performance hilarante de Vincent Price. Il faut le voir boire religieusement au taste-vin, aspirer l'air pour aérer le palais dans une mimique d'extase... Ensuite, la comédie se teinte de macabre alors que l'on approche de sa résolution. L'histoire qui sort du lot, c'est bien celle-ci.

Du dernier épisode, La Vérité sur le cas de M. Valdemar, on retiendra la confrontation entre Vincent Price et Basil Rathbone (la série des Sherlock Holmes des anénes 30, Les Aventures de Robin des bois) avec cette histoire d'hypnotiseur qui empêche Valdemar, mourant, de trépasser. Les maquillages de Vincent Price méritent encore aujourd'hui un coup de chapeau ; on a aussi le bonheur de voir la belle Debra Paget (le diptyque indien de Fritz Lang, Le Tigre du Bengale / Le Tombeau Hindou (1959), mais aussi La Malédiction d'Arkham -The Haunted Palace, sixième itération du cycle Corman / Poe -en réalité adapté d'une nouvelle de Lovecraft. Une belle adaptation de la nouvelle de Poe.

Debra Paget dans L'Empire de la terreur (Tales of Terror, Roger Corman, 1962)
Debra Paget

Une réalité rattrape le film : celle du budget. Si l'option de raconter trois histoires offre un résultat plus varié, et plus motivant pour Corman, cela revient à faire trois films... avec le budget d'un seul. Plus de décors, plus de personnages, donc un tournage toujours plus à l'économie. Une scène de La vérité sur le cas de M/ Valdemar en fera les frais : alors que Valdemar / Price vogue entre la vie et la mort dans les enfers ; Corman coupera la scène, celle-ci ne rendant pas justice à l'idée de départ. Daniel Haller, le chef décorateur, fait cependant feu de tout bois, et optimise l'organisation de son équipe pour faire plus en un minimum de temps. Il se fera même installer un lit de camp sur le plateau. Comme pour d'autres films du cycle, l'incendie filmé à l'origine pour le final de La Chute de la maison Usher sera réutilisé pour le sketche Morella.

Sorti en juillet 1962 en double-programme avec d'autres productions American International Pictures (avec Panique, année zéro, un film de Ray Milland, acteur qui tourna L'Enterré vivant la même année  pour Corman, tou encore Brûle, sorcière, brûle !), L'Empire de la terreur est un succès, et ouvre la voie à la suite du cycle. Il sera vite de retour avec Le Corbeau en 1963. Corman est infatigable, car ces années-là il réalise aussi La Tour de Londres (Tower of London, 1962) avec Vincent Price et L'Halluciné (The Terror, 1963) avec Boris Karloff et Jack Nicholson.


Disponibilité vidéo : DVD/Blu-ray FR - éditeur Sidonis / Calysta.

Sources bibliographiques

Roger Corman, Edgar Allan Poe : les démons de l'esprit / Marc Toullec, 2022
L'écran Fantastique Vintage n°14 : Roger Corman, un talent monstre / Frédéric Pizzoferrato, 2023

Image titre du film L'Empire de la terreur (Tales of Terror, Roger Corman, 1962)


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