Terreur dans le Shanghaï Express (Eugenio Martín, 1972)

Affiche du film Terreur dans le Shanghai Express (Horror Express / Pánico en el Transiberiano, 1972) réalisé par Eugenio Martín

Une co-production britannico-espagnole interprétée par Christopher Lee et Peter Cushing, mêlant aventure, fantastique, science-fiction et horreur ferroviaire... Comment peut-on refuser de découvrir ce film méconnu qu'est Terreur dans le Shanghaï Express ?

Début du XXème siècle. Le paléontologue Alexander Saxton (Christopher Lee), qui conduit des fouilles en Mandchourie, fait la découverte d'un hominidé fossilisé dans la glace. Il entreprend de le ramener en Europe par le Transsibérien. Le docteur Wells (Peter Cushing) est également à bord ; il est très curieux de savoir ce que rapporte Saxton. C'est alors que le fossile reprend vie...

Eugenio Martín, réalisateur et scénariste espagnol, a surtout œuvré dans le domaine du western, tournant avec Tomás Milián (Les Tueurs de l'Ouest, 1967) ou Lee Van Cleef (Les Quatre mercenaires d'El Paso, 1971). Fin 1971, il est à la barre d'une co-production Benmar Productions / Granada Films, sous le patronage de Philip Yordan et Bernard Gordon, pour lesquels Martín est sous contrat. Le point de départ de ce qui deviendra Horror Express (ou encore Pánico en el transiberiano, son titre original espagnol) est incongru : Gordon a sous la main une maquette de train de grande taille, précédemment acquise pour le tournage de Pancho Villa (déjà réalisé par Eugenio Martín), qu'il souhaite rentabiliser. Le scénario met donc à profit cet élément, et suit un voyage sur la ligne Shanghaï - Moscou ; les prises de vues donnent un beau sens de l'exotisme, entre l'expédition qui ouvre le film et le trajet en train, pourtant entièrement filmé en studio, qui font illusion. Tout est tourné à Madrid, y compris la scène d'embarquement ; il y a dans tout cela, malgré le budget réduit (300 000 dollars), un parfum d'aventure et de saut vers l'inconnu bien palpable. 

Peter Cushing et Christopher Lee dans Terreur dans le Shanghai Express (Horror Express, Eugenio Martín, 1972)
Peter Cushing, Christopher Lee

Les acteurs sont pour beaucoup dans cette alchimie. Christopher Lee et Peter Cushing, depuis leur collaboration dans de nombreux films Hammer, sont bons amis. Ils ont souvent joué les antagonistes : Dracula / Van Helsing, le monstre / baron Frankenstein pour les plus connus. Ici, même si les deux personnages sont rivaux, ils se retrouvent du même côté, principalement parce qu'ils sont... britanniques, comme Peter Cushing le dit avec un certaine dose de comédie. Cushing, qui a perdu sa femme, brutalement décédée au début de l'année 1971, avait quitté le tournage de La Momie sanglante pour cette raison. Lorsqu'on lui propose Horror Express, il confie à Bernard Gordon qu'il est trop déprimé pour tourner. C'est sans compter Christopher Lee, qui le convainc de rester. Leur contribution dans ce film est une de leur collaboration les plus réussie, leurs dialogues se répondant parfaitement, entre rigueur britannique et, de façon plutôt inattendue, un léger humour. La suite de la distribution n'est pas en reste : Alberto de Mendoza est connu pour certains des plus beaux gialli (L'Étrange vice de Madame Wardh, Le Venin de la peur, La Queue du scorpion), mais aussi, comme les spectateurs français s'en souviennent bien, pour le rôle du roi d'Espagne dans La Folie des grandeurs (Gérard Oury, 1971). Il incarne ici un fervent religieux à la Raspoutine, ressemblance renforcée par la proximité avec la comtesse Petrovski (Silvia Tortosa, qui interprète un adorable personnage entre Peter Cushing et Christopher Lee). Comment oublier enfin Telly Savalas, aussi sous contrat avec Philip Yordan, qui invente une partition tout à fait excentrique, en contrepoint des plus sérieux Cushing et Lee. Même si son arrivée est un peu parachutée dans le dernier tiers du métrage, il vole rapidement la vedette au duo principal. Cet ensemble d'acteurs, tous au diapason, peut compter sur l'assemblage d'autres éléments de belle facture pour constituer un des fleurons du cinéma d'horreur des années 70.

Ce voyage qui emprunte à tant de genres différents a peu d'égal, même s'il rappelle l'excentricité d'un Peuple des abîmes (Michael Carrerars, Leslie Norman, 1968), bien que ce dernier soit bien inférieur à Horror Express. Le scénario, aussi abracadabrant qu'il puisse être, est néanmoins tout à fait original, tout en constituant une adaptation lointaine de la nouvelle La Bête d'un autre monde (Who Goes There ?) de Joseph W. Campbell, déjà adaptée au cinéma avec La Chose d'un autre monde (Christian Nyby, Howard Hawks, 1951). Disons que les attentes de départ, somme toute légères, sont brillamment relevées au fur et à mesure que le scénario se déroule. Sa qualité est évidente et dépasse, osons le dire, la plupart des scénarios des films Hammer, notamment par sa sophistication inattendue. Attention, tout n'est pas d'une cohérence redoutable, mais l'effort est grandement récompensé. 

Telly Savalas dans Terreur dans le Shanghai Express (Horror Express / Pánico en el Transiberiano, Eugenio Martín, 1972)
Telly Savalas

La photographie travaillée de Alejandro Ulloa est très flatteuse, et bien mise en valeur par la dernière présentation du film en Blu-ray par l'éditeur britannique Arrow et reprise fin 2022 par Le Chat qui fume en France). Cerise sur le gâteau : la mélodie entêtante composée par John Cacavas est absolument imparable ! Cet air mélancolique s'accorde tout à fait avec le fatum des nombreux personnages qui succomberont dans cet Express de l'horreur.

Terreur dans le Shanghaï Express est tourné fin 1971, et sort sur les écrans espagnols début 1973, après avoir été présenté au festival de Sitges l'année précédente ; à la fin de l'année 1973 seulement, le film est enfin distribué aux États-Unis. Les spectateurs français durent attendre encore plus longtemps, fin mai 1975, pour voir le film. Il eut son petit succès, et comme d'autres, son aura n'a cessé de grandir après sa première exploitation en salles, surtout en Angleterre. Il n'y a guère qu'en Espagne, son pays de production, qu'il n'a pas été apprécié. La dimension protéiforme et inattendue du monstre laisse une vive impression.

Tantôt vampire, tantôt zombie, deux rubis luisant dans le noir prédisant son attaque, le monstre marque les esprits. Et ce film, qui reste relativement méconnu en France,  gagne ses galons de petite pépite horrifique de série B, sentiment qui se bonifie encore à chaque nouvelle vision.

Disponibilité vidéo : Blu-ray FR chez Le Chat qui fume

Image titre du film Terreur dans le Shanghai Express (Horror Express, Eugenio Martín, 1972)

Commentaires

  1. Je l'avais découvert dans une copie assez moche, mais le film fonctionnait bien. Je lui donnerai bien une seconde chance. Merci pour les coulisses de cette production atypique, on se demande toujours comment de telles distribution sont réunies, le plaisir du cinéma de genre européen.

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    1. Bonjour Vincent, oui, le film est clairement à redécouvrir ! Un éditeur français se risquera peut-être à sortir le film en blu-ray (pourquoi pas Le chat qui fume, ESC ou Ecstasy of Films ?).

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