Les Damnés (Joseph Losey, 1963)
Joseph Losey chez la Hammer : l’association paraît étonnante. Comment le réalisateur, connu pour ses drames, ses films policiers avec une forte dimension sociale et politique, a-t-il trouver le moyen de s’illustrer dans le cinéma de science-fiction ?
Au début des années 1960, le réalisateur américain a déjà une histoire avec la fameuse firme britannique : il devait réaliser le film de science-fiction X The Unknown en 1956, après un exil forcé des États-Unis où sévit le maccarthysme. Or, la premier rôle américain, Dean Jagger, refuse catégoriquement de travailler avec un « sympathisant communiste » ; Losey, œuvrant sur le film sous le pseudonyme de Joseph Walton, sera débarqué par la Hammer, le studio n’étant pas plus convaincu du potentiel commercial d’un film signé par un réalisateur blacklisté. Il est remplacé par le vétéran Leslie Norman, lui-même épaulé par le producteur exécutif Michael Carreras ; Norman n’étant jamais arrivé à trouver sa place sur ce tournage. Cette expérience se renouvèlera pour Le Peuple des abîmes, toujours chez la Hammer.
Joan (Shirley Anne Field) et les blousons noirs |
Tourné du 8 mai au 22 juin 1961 dans le sud de l'Angleterre, Children of Light, devenu The Brink ou On The Brink (titre souhaité par Joseph Losey pouvant signifier « le bord » ou « au bord », jouant sur l’image de la falaise, et l’approche annoncée de la fin du monde) puis finalement The Damned, le film dort dans les réserves de la Hammer pendant pratiquement deux ans. Il est finalement distribué à partir du 20 mai 1963 à Londres, en deuxième partie d’un double-programme avec le thriller Maniac (Michael Carreras, 1963), assorti du désormais habituel classement X pour des scènes de violences, mais autorisé après le passage devant le BBFC. Les critiques sont assez élogieuses ; le film ne rentre cependant pas dans ses frais, au grand dam de James Carreras et Anthony Hinds.
Le film est unique en son genre à la Hammer ; le
mélange de science-fiction, de deux love-stories et de film social, le tout
empreint d’un fort message politique, en fait un prototype totalement à part.
Un peu comme le roman noir, plusieurs histoires indépendantes semblent avoir
été fondues en une seule. Ce grand écart est bien illustré dès le début du film :
la séquence de générique montre un paysage naturel et désertique, accompagnée d’une
musique lancinante, puis en une coupe, le film rentre de plein pied dans un
univers urbain, suivant le rythme d’une musique rock un brin naïve qui sera un
des leitmotivs du film : Black Leather Rock Rock Rock ; la chanson est l'emblème
de la bande de blousons noirs, dont les agissements violents, tout en singeant les symboles de l’autorité, anticipent les
Droogs d’Alex dans Orange mécanique (Stanley Kubrick, 1971). Dans un tout autre registre, Losey profite également du film pour dresser en filigrane un portrait peu flatteur du modèle d'éducation britannique.
Les enfants et leur professeur |
La distribution est impeccable, et ne repose pas sur les talents maison de la Hammer ; en premier lieu Macdonald Carey, un acteur américain tout à fait à l’aise dans le rôle de Simon Wells, un touriste qui aura maille à partir avec King (Oliver Reed) et sa bande de blousons noirs ; il s’éprend de Joan (Shirley Anne Field), qui n’est autre que la sœur de King. Cette dernière, tout comme l’excellent Olivier Reed, furent imposés par le studio, ce qui, par principe, déplut fortement à Losey, qui avait réussi à négocier les pleins pouvoirs sur le film. Dans les faits, ce contrôle absolu était une illusion ; en témoigne les multiples versions du film (durée raccourcie pour l’exploitation cinéma britannique, encore plus courte aux USA), les titres différents (The Damned en Angleterre, These are the Damned aux États-Unis, à ne pas confondre avec Les Damnés -La caguta degli dei- de Luchino Visconti sorti six ans plus tard), les reshoots imposés et les coupes finalement acceptées par Losey.
Commentaires
Enregistrer un commentaire