L'Halluciné (Roger Corman, 1963)
Alors qu'il vient de terminer Le Corbeau (The Raven, 1963), avec Vincent Price et Boris Karloff, Roger Corman dispose du décor du film (un château gothique) pour deux jours supplémentaires. Karloff peut rester deux jours supplémentaires également, tout comme Jack Nicholson. Corman décide de tirer partie de son avance et des économies réalisées pour tourner un nouveau film dans le temps imparti.
Le "scénario" d'origine tient en quelques pages, Corman tourne des scène de couloirs, dans lesquelles des personnes discutent sans savoir. De là sort cet étrange Halluciné, dont le tournage durera finalement plusieurs mois. The Terror (son titre original) ressemble par certains aspects à La Chambre des tortures (The Pit and the Pendulum, 1961), dans lequel un jeune homme homme vient aux nouvelles de sa sœur dans un château en bordure de mer, contrôlé d'une main de fer par Don Medina (Vincent Price).
Ici, c'est André Duvalier (Jack Nicholson), un lieutenant français, qui est retrouvé inconscient sur le rivage de la mer Baltique, épuisé par un trop long voyage. Il rencontre Hélène, une jeune femme dont il tombe instantanément amoureux, mais cette dernière s'évapore dans la nature : il va essayer de la retrouver en demandant asile au Baron Von Leppe (Boris Karloff), un vieil homme reclus dans un immense château. La filiation avec le cycle Poe est là ; il aurait en tous les cas gagné à être véritablement inclus dans la série et ainsi, bénéficier d'un budget correct. Corman le considère comme "un membre honoraire de [son] cycle Poe" tout en affirmant "C'est l'exemple-type du film créé à partir de rien".
Jack Nicholson |
Nicholson, dont c'est l'un des premiers rôles (il a joué précédemment dans Le Corbeau), est assez bon dans ce rôle entre deux eaux, parfois dans les nuages, un peu perdu (comme le script) mais tout en détermination pour retrouver cette apparition qui l'a fait chavirer. Le film, totalement fauché, bénéficie de cet onirisme comme d'une temps qui se délite et ralentit. Une ambiance délétère et vaporeuse fait du film un objet presque intangible, comme un fantôme de film, à tous les points de vues. La mise en scène est bancale, ne s'arrangeant pas des multiples personnes ayant occupé ce poste (on parle de Monte Hellman, Francis Ford Coppola, Jack Hill et même Jack Nicholson). Le récit va de retournements de situations en rebondissements, illustrant bien la création du script au jour le jour.
Combien de fois voit-on un personnage ouvrir et fermer la grande porte du château, rare pièce de décor ? Le (trop) grand hall d'entrée rend les acteurs petits, perdus dans cet espace nu et désolé. Malgré une narration ramassée, concluant son intrigue en 80 minutes, l'ennui peut poindre assez rapidement ; cependant, l'affrontement entre Nicholson et Karloff est tout de même un bon point pour l'ensemble. De même, la situation géographique du film, à la frontière terre-mer (tourné à Big Sur, sur la côte californienne), aide à une perception floutée, énigmatique, de cette histoire d'amour atypique. Comme dans certains films du cycle Poe, on retrouve une opposition niveau supérieur (le visible et la couverture, la vitrine) / niveau inférieur (l'horrible réalité invisible), investissant un ressort typiquement horrifique comme dans La Chambre des tortures. Contrairement à la majorité des films du cycle Poe (y compris Le Corbeau, le dernier opus en date), L'Halluciné ne se termine pas par un incendie , mais par une inondation : Corman souhaitait bien décidé à faire évoluer la formule.
Malgré ses -gros- défauts, L'Halluciné -titré aussi Le Château de la terreur en France, à ne pas confondre avec Le Château de la terreur / The Strange Door, réalisé par Joseph Pevney en 1951- reste un moment assez agréable et mystérieux, qui bénéficie de belles prestations d'acteurs.
Disponibilité vidéo : DVD/Blu-ray FR - éditeur : Bach Films
Source bibliographique :
L'Écran Fantastique Vintage n°14 : Roger Corman, un talent monstre / Frédéric Pizzoferrato, 2023
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