Le Démon des armes / Gun Crazy (Joseph H. Lewis, 1950)

Le Démon des armes / Gun Crazy (Joseph H. Lewis, 1950) film poster


Après le coup éditorial du noël 2012 (l'édition limité à 5 000 exemplaires de La Nuit du chasseur, épuisée très rapidement), Wild Side a de nouveau tenté un pari un peu fou avec l'édition livre + Blu-ray + DVD dédiée à Gun Crazy (film sorti en salles à l'époque sous le titre Le Démon des armes), aux alentours de noël 2013. 

Mais, attention, il ne s'agit pas de n'importe quel livre : comme pour La nuit du chasseur, l'objet est imposant, d'une finition assez remarquable, -dos toilé, pages au fort grammage constellées de photos toutes plus sublimes les unes que les autres. Et le texte : Eddie Muller, historien passionné du film noir, est à la plume, et il faut dire qu'il est probablement le plus grand fan de Gun Crazy au monde. La collaboration avec Wild Side sur la collection Art of Noir (Woman on the Run et Le Rôdeur / The Prowler) s'étant soldée par d'incontestables réussites, tant éditoriales qu'artistiques, on ne pouvait qu'être impatient sur une sortie de cet acabit. 

Le mystérieux point d'interrogation du sous-titre du livre s'explique par la conviction d'Eddie Muller que la "politique des auteurs", c'est-à-dire la paternité pleine et entière du réalisateur sur le film, n'existe pas. Il n'aura de cesse, dans son livre, de clarifier ce point de vue, et d'attribuer la paternité du film à un ensemble de personnes, parmi lesquelles les King Bros., MacKinlay Kantor, ainsi que le scénariste Dalton Trumbo.

Gun Crazy s'offre au spectateur comme une série B qui s'inscrit parfaitement dans le film noir, alors dans ses années fastes. Un couple d'amants maudits, fanas de la gâchette, braque à tout va et s'achemine doucement mais sûrement vers une issue fatale.

Les King Brothers, petits producteurs qui rêvent de décrocher les hits au box-office, veulent ici adapter une nouvelle de MacKinlay Kantor parue dans le Saturday Evening Post en 1940 ; bonne pioche pour eux, l'écrivain est adapté quelques années plus tard avec un immense succès à la clé nommé Les Plus belles années de notre vie (William Wyler, 1946). Mais le projet peine à se concrétiser. Ayant d'abord approchés Kantor pour qu'il adapte sa nouvelle et la réalise lui-même, les King brothers réalisent que c'est une impasse : l'auteur n'arrive pas à débarrasser son traitement d'un prologue aux longueurs interminables. Plus tard, Joseph H. Lewis est choisi pour réaliser le film, tandis que Dalton Trumbo, alors sous le coup de la chasse aux sorcières, corrige en sous-main le scénario, mais n'est pas crédité au générique : Millard Kaufman en endosse la responsabilité, alors qu'il n'a rien à voir avec sa réalisation. Le film sortira d'abord aux États-Unis sous le titre Deadly is the Female, car United Artists, le distributeur de film, très emballé par son produit, voulait un titre plus commercial. Une nouvelle séance photo promotionnelle avec Peggy Cummings la montre d'ailleurs en femme fatale typique, un look qui est bien éloigné de celui qu'elle arbore dans le film !

Peggy Cummings dans Le Démon des armes / Gun Crazy (Joseph H. Lewis, 1950)

Peggy Cummings


Joseph H. Lewis est un roi du tournage à l'économie, mais possède également une vision ambitieuse et précise du résultat qu'il veut imprimer à l'écran. C'est pourquoi ces plans séquences, nombreux, sont fascinants, ayant l'énergie de la spontanéité comme la maîtrise d'un esthète de l'image. La succession d'ellipses, dues à Trumbo principalement, produit un incipit enlevé et surprenant, l'enfant que l'on voit voler un revolver dans la scène inaugurale devenant l'adulte qui tient le rôle principal dans la suite du film. L'acteur en question, John Dall, est bon : affichant d'abord un sourire narquois, mine sombre après sa rencontre avec Annie Laurie, il es torturé par cette attirance dont il sait, au plus profond de lui, qu'elle ne lui amènera que des ennuis. Il n'a pas l'âme d'un tueur ; il est même incapable de tuer, alors que son seul talent est le tir ! John Dall jouait l'année précédente dans La Corde (Rope, 1948), le huis-clos meurtrier d'Alfred Hitchcock, aux côtés de James Stewart et de Farley Granger.

la rencontre de Bart, un as du tir au pistolet depuis l'enfance, et son âme sœur, qui use des mêmes talents dans un cirque, est électrique : ils ont chaud, semblent prêts à se sauter dessus, et Bart, qui n'a jamais connu de femme auparavant, pose un regard qui en dit long sur Annie Laurie Starr. La première apparition du personnage féminin, véritablement pétaradante, vaut le détour, ainsi que le jeu de tir qui s'en suit.

Peggy Cummings, John Dall dans Le Démon des armes / Gun Crazy (Joseph H. Lewis, 1950)
Peggy Cummings, John Dall


La tonalité du film, amorale (faisant de deux hors-la-loi, préfigurant Bonnie and Clyde, des héros maudits au destin scellé par leur histoire d'amour), doit subir les coupes décidées par le Code de Production cinématographique. Dialogues, attitudes sont passées au crible de la censure. Pourtant, malgré le respect de ce passage obligé, force est de constater que l'empathie du public reste concentrée sur Bart et Annie Laurie. Leur refus de se séparer pour quelques mois, après leur dernier gros coup, est une scène symptomatique de cette passion, plus forte que le sort terrible qui les attend : l'amour, plus fort que la mort.

Alors que la partie centrale du film est un road-movie en forme de fuite en avant, les bandits n'ayant de cesse de voyager d'états en états pour échapper aux forces de l'ordre, le final est plongé dans un onirisme complet, Bart et Annie Laurie étant piégés dans un marais brumeux, qui fait d'eux des fantômes imprimant à peine la pellicule. Un final impressionnant pour une film intéressant, même si on est tout de même loin du chef-d’œuvre publiquement célébré depuis sa sortie en salles française.

Disponibilité vidéo : Blu-ray / DVD FR  - éditeur : Wild Side Vidéo ; Blu-ray US zone All (sous-titres anglais uniquement - éditeur : Warner Archive

 

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