Hurler de peur (Seth Holt, 1961)

 Scream of Fear / Taste of Fear (Seth Holt, 1961) - poster US du film

Les films de la firme britannique Hammer restent dans l'histoire du cinéma pour leurs versions des Universal Monsters, aux couleurs vives, au décorum gothique et aux débordements sanglants. Le studio a néanmoins produit d'autres séries de films, certes pas aussi populaires mais non moins réussies : celle, par exemple, des thrillers tortueux à la Psychose, comme Traitement de choc (Val Guest, 1961), Maniac (Michael Carreras, 1961) ou encore Paranoïaque (Freddie Francis, 1963). Hurler de peur est l'un des tout premiers, et, affirmons-le sans détour, le meilleur.

Validé par Michael Carreras fin 1959, le scénario de Jimmy Sangster pour ce qui deviendra Taste of Fear (Hurler de peur pour sa sortie française) ne devait pas être produit par la Hammer : le film était destiné à la Rank, mais il ne put finalement pas se faire. Sangster racheta son script et, avec la bénédiction de Michael Carreras, produisit le film. La Hammer utilisera une de ses filliales, Falcon Films, pour chapeauter le tout.
Il s'agit du premier métrage totalement contrôlé par Sangster (hormis le casting, Columbia imposant Susan Strasberg comme premier rôle ; le film a tout l'air d'être un faire-valoir pour la jeune actrice).

Tourné en extérieur dans le sud de la France à la fin de l'année 1960, Hurler de peur eut comme premier titre See no Evil, alors que le scénario de Jimmy Sangster est encore entre les mains de la Rank. C'était avant que Michael Carrerras ne reprenne le film pour Hammer et ne s'aperçoive que le titre See no Evil avait déjà été réservé par la MGM. Ensuite on parla de Hell Hath No Fury (une expression pouvant signifier Une femme humiliée est capable de tout), puis Columbia, distributeur des films Hammer durant cette période, choisit Taste of Fear pour le marché britannique, alors que les spectateurs américains iraient voir Scream of Fear.

Ann Todd et Christopher Lee dans Hurler de peur (Taste of Fear / Scream of Fear, Seth Holt, 1961)
Ann Todd et Christopher Lee dans Hurler de peur

De toute la série des thriller à venir de la firme, Hurler de peur est celui chez qui l'influence des Diaboliques d'Henri-Georges Clouzot est la plus prégnante. La présence menaçante de l'eau, un père absent -sa disparition cache-t-elle un destin plus tragique que l'entourage ne souhaite le faire croire à sa fille revenue de Londres ? Qui dans ce carrousel des apparences, cache-t-il le mieux son jeu ? Jane Appleby (Ann Todd), la femme avec qui le père richissime s'est remarié ? Le Docteur Gerrard (Christopher Lee), très présent à la maison familiale ? À moins que ce ne soit l'affable chauffeur, Robert (Ronald Lewis, vu l'année précédente dans la production Hammer Traitement de choc), ou encore Penny Appleby (Susan Strasberg), notre héroïne en fauteuil roulant.

Il n'est pas facile de voir dans cette production une filiation avec ce qui faisait le sel des production Hammer jusqu'alors. C'est la lassitude de Jimmy Sangster pour l'horreur gothique, et la vision des Diaboliques donc, qui va faire naître cette série de thrillers au début des années 60. Le Vertigo d'Hitchcock (1958) n'y est pas étranger non plus. Le film constitue d'ailleurs la rencontre entre Boileau-Narcejac et Hitchcock après que le maître du suspense ait été si impressionné par Les Diaboliques (adapté du roman Celle qui n'était plus, des mêmes auteurs). Psychose sort le 15 septembre 1960 en Angleterre et marque durablement Jimmy Sangster, suffisamment pour l'encourager à poursuivre dans la créations de suspense à twists qu'il nommera "Mini-Hitchcock". Il apparaît cependant abusif de penser que le film ne serait une pâle copie de Psychose, produite dans l'écume du succès de son glorieux aîné ; En effet, le film est d'abord prévu au planning pour la fin de l'année 1959, Sangster ayant déjà rédigé une première version de l'histoire à cette période.

Susan Strasberg, Ronald Lewis dans Hurler de peur (Taste of Fear / Scream of Fear, Seth Holt, 1961)
Susan Strasberg et Ronald Lewis - photo d'exploitation américaine

La mise en scène de Seth Holt (La Momie sanglante, 1971) est posée et donne un très bonne vision de l'espace. Le réalisateur, solide, est épaulé par une très belle lumière et des contrastes ciselés du chef opérateur, qui n'est autre que Douglas Slocombe. Technicien hors-pair à la carrière pléthorique, il a signé la photo de certains des plus grands films des studios Ealing (Au cœur de la nuit, L'Homme au complet blanc, De l'or en barres) ; il participera plus tard à The Servant (Joseph Losey, 1963) puis aux chef-d'œuvres de Spielberg : Rencontres du troisième type, les Indiana Jones... Les pépites de cette liste donnent un aperçu de la qualité des prises de vues de Hurler de peur.

Le scénario de Jimmy Sangster donne la part belle au suspense et sait mener sa barque jusqu'au final, sans s'éventer ou se perdre en chemin. Il reste aujourd'hui d'une grande force ; Les coups de théâtre du dernier quart d'heure sont efficaces. Christopher Lee dira d'ailleurs de ce film qu'il s'agit de la meilleure production Hammer dans lequel il ait joué : "le meilleur réalisateur, la meilleure distribution et le meilleur scénario". Sur la distribution, il n'y effectivement rien à redire, tant Susan Strasberg (fille de Lee et Paula), certes imposée par la Columbia, est convaincante ; elle apporte une modernité par son style de jeu très naturel. De même que Ann Todd, ambiguë dans le rôle de la belle-mère peut-être trop attentionnée. Reste Ronald Lewis dans le rôle du jeune premier, qui parvient à rester mystérieux sur ses intentions. Le reste de sa carrière n'a pas suivi, faite de hauts et de bas. Pourtant, il y a de la sincérité dans son jeu, une légèreté et une profondeur tourmentée ; son charisme fiévreux et tourmenté sied au genre de la plus belle manière. Il tournera un dernier film pour Hammer quelques années plus tard, Le Rebelle de Kandahar (John Gilling, 1965).

Jimmy Sangster et Susan Strasberg sur le plateau

Une fois le tournage à Nice, Cap d'Antibes (dans la villa de la Garoupe au charme mystérieux) et Villefranche terminé, Seth Holt commence les prises de vues en studio à Elstree à partir du 8 novembre 1960. Elles se terminent le 7 décembre par la scène qui inaugure le film (la découverte d'un corps dans les eaux d'un lac de Suisse, illusion permise par une peinture sur verre réalisée par le grand Les Bowie, oscar des meilleurs effets pour Superman, le film (Richard Donner, 1978).


matte painting du film Hurler de peur (Taste of Fear / Scream of Fear, Seth Holt, 1961) par Les Bowie
Matte painting réalisé par Les Bowie

Le film sort sur le 30 mars en avant-première à Londres assorti du classement X, soit interdit aux moins de 16 ans. Il passa ceci dit la censure du British Board of Film Classification (BBFC) sans aucune coupes. Ce n'est pas si étonnant : il était d'usage à l'époque, pour des questions de coût surtout, de présenter en amont des versions du script au BBFC pour se prévaloir de se voir obligé de couper des scènes, grevant le budget inutilement. Le département publicité de la Hammer s'inspira de Psychose en inscrivant sur l'affiche l'avertissement suivant :

« This is positively the only photograph we are allowed to show you.
Under no circumstances may we give away any
of the startling secrets of this Great Screen Thriller.

IT IS IMPERATIVE THAT YOU SEE IT FROM THE START!
The Management. »

Il s'agit vraiment de la seule photo que nous pouvons vous montrer.
Sous aucun prétexte nous ne dévoilerons les surprenants secrets
de ce grand film à suspense.

VOUS DEVEZ VOIR CE FILM DEPUIS LE DÉBUT !
La direction.


La campagne paye : le film rafle une belle mise pour la Hammer. Il sort fin août 1961 aux Etats-Unis où il marche très fort. Ayant coûté 120 000 livres à la Columbia, le film rapporte six fois plus ; il devient un des plus gros succès pour la firme cette année-là. Il lance également la vague de thrillers scénarisé par Sangster. Les critiques saluent un film réussi. Les spectateurs français découvriront quant à eux le film à partir de la fin novembre 1961, cependant il passera inaperçu sur le territoire.

Force est de constater aujourd'hui l'importance capitale -à tous les niveaux- qu'a ce métrage dans l'histoire du studio, dans un genre cependant moins emblématique pour la célèbre firme.

Disponibilité vidéo : Blu-ray / DVD FR – éditeur : ESC Editions
Blu-ray UK - éditeur Powerhouse / Indicator (version originale avec sous-titres anglais uniquement)

Note : le Blu-ray UK propose le film au format 1.66:1, alors que l'édition française est au ratio 1.78:1 ; plusieurs sources concordantes indiquant un format respecté à 1.85:1... La version 1.66 de l'édition Indicator semble la solution la plus harmonieuse aujourd'hui.

Sources bibliographiques :

The Hammer Story / Marcus Hearn, Alan Barnes
Hammer Films' Psychological Thrillers : 1950-1972 /  David Huckvale
Hammer Complete / Howard Maxford
Hammer Film, An Exhaustive Filmography / Tom Johnson, Deborah Del Vecchio
L'antre de la Hammer / Marcus Hearn
Coffrets Blu-ray Hammer Volume Four: Faces of Fear - éditeur Powerhouse / Indicator

 

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