La Malédiction d'Arkham (Roger Corman, 1963)

Affiche du film La Malédiction d'Arkham (The Haunted Palace, Roger Corman, 1963)


 1765. Joseph Curwen (Vincent Price) adepte de la sorcellerie, veut sacrifier une jeune fille à un démon des profondeurs. Des villageois l'en empêchent ; en mourant, Curwen maudit la population d'Arkham, promettant de les persécuter par-delà la mort. Cent ans plus tard, son descendant, Charles Dexter Ward, ressemblant comme deux gouttes d'eau à son aïeul, arrive à Arkham accompagné de son épouse, Ann (Debra Paget), pour prendre possession de son héritage.

Trois ans après La Chute de la maison Usher, film qui marque le début du cycle Poe de Roger Corman, voici venir le sixième opus. Sacrée cadence de production, sachant que Corman réalise et produit d'autres films dans la même période : le peplum Atlas en 1961, le très bon The Intruder avec William Shatner ou encore La Tour de Londres en 1962 pour ne citer que ceux-ci. 

Après la scission qu'a représenté Le Corbeau au sein du cycle Poe, opérant la bascule entre le sérieux et l'humour, la suite du cycle ne peut continuer dans la farce. Ainsi, les trois films clôturant la série demeureront tout à fait sérieux, et ce n'est pas un mal. Le Corbeau est d'ailleurs le film le plus rentable de la série. On retrouve pourtant la même fine équipe à la barre de La Malédiction d'Arkham : Daniel Haller au poste de chef décorateur, Floyd Crosby à la photographie, Charles Beaumont au scénario et devant la caméra, un Vincent Price toujours impérial. Comment se retrouve-t-on avec La Malédiction d'Arkham, qui est en fait l'adaptation de L'Affaire Charles Dexter Ward, de H. P. Lovecraft ? Le titre français, en faisant référence à un des lieux emblématiques des récits du romancier américain, est plus honnête que le titre original, The Haunted Palace, titre d'un poème d'Edgar Poe (qui sera tout de même cité dans le film). 

 

Debra Paget et Vincent Price dans La Malédiction d'Arkham (The Haunted Palace, Roger Corman, 1963)
Debra Paget, Vincent Price

Le temps est l'ennemi de Corman et des producteurs de l'AIP dans cette affaire. Corman souhaite depuis longtemps adapter Le Masque de la mort rouge de Poe ; ce sera le film suivant. Charles Beaumont doit rédiger un scénario à partir du poème Le Palais hanté (The Haunted Palace) de Poe, mais le script n'est pas prêt à temps. Beaumont propose alors un scénario déjà rédigé, d'après Lovecraft, et qui finira par être choisi. Arkoff et Nicholson, de l'AIP, apprécient Lovecraft. Pourquoi ne pas commencer un autre cycle d'adaptation consacré au Maître de Providence ? Ce n'est finalement pas pour déplaire à Corman, qui a de plus en plus la sensation de se répéter. Retournement de situation : AIP veut après tout continuer à exploiter la veine Poe, Lovecraft n'étant pas suffisamment reconnu à l'époque. La Malédiction d'Arkham constitue d'ailleurs la première adaptation cinématographique de Lovecraft. On insère donc au chausse-pied des extraits du poème Le Palais hanté dans le film, notamment à la toute fin. Le film, qui devait s'intituler The Haunted Village, est retitré The Haunted Palace, contre l'avis de Roger Corman.

La Malédiction d'Arkham est un étrange mélange de Poe et de Lovecraft. Un Lovecraft dans un décor gothique (alors que la nouvelle est écrite à l'époque contemporaine), dans lequel on retrouve aussi des éléments du Cauchemar d'Innsmouth, écrit par Lovecraft en 1931. Parmi les autres films du cycle, il a naturellement une place à part et n'est que peu cité comme un des achèvements du cycle. Manquant certes de connexions avec Poe, La Malédiction d'Arkham n'en est pas moins une belle porte d'entrée à la cosmogonie infernale de Lovecraft. 

Malgré la filiation Lovecraft, évidente, proposée par le film, on retrouve bien des éléments communs avec l'ensemble du corpus Poe / Corman ; en premier lieu la notion de la lignée maudite. En effet, quoi que fasse Charles Dexter, et quelle que puisse être son tempérament originel, il va tomber sous la coupe de son ancêtre décédé, par l'intermédiaire d'un sinistre tableau. Les portraits illustrant la généalogie étant aussi un des motifs récurrents du cycle. La dégénérescence de la lignée est aussi représentée comme une boucle sans fin, les descendants (Curwen ainsi que d'autres habitants d'Arkham) étant interprétés par les mêmes acteurs que leurs ancêtres. Riche idée, tant ce microcosme semble prisonnier d'un éternel recommencement, conséquence de la malédiction lancée par Curwen avant d'être brûlé vif. Le thème de la descendance dégénérée est aussi présente dans le film via les villageois au visage difforme et sans yeux, une vision parmi les plus efficacement horrifiques de tout le cycle, empruntée au texte de Lovecraft Le Cauchemar d'Innsmouth.

Vincent Price face au portrait dans La Malédiction d'Arkham (The Haunted Palace, Roger Corman, 1963)
Charles Dexter Ward (Vincent Price) face au portrait de son aïeul

Vincent Price alterne, dans un ballet de rictus et d’œil mauvais, l'interprétation de Charles Dexter Ward et du maléfique Joseph Curwen (ce qui aura donné bien du mal à Pathé Laboratories, le visage de Price étant recouvert d'une couche de maquillage verdâtre qui ne rend pas forcément très bien à l'image). La belle Debra Paget, dans le rôle de l'épouse de Ward, rend justice à un personnage féminin plutôt actif (alors que le récit de Lovecraft est d'ailleurs dépourvu de toute présence féminine). Il s'agira de son dernier rôle au cinéma avant sa retraite, dû à son mariage avec un magnat du pétrole.

Corman, soucieux de parsemer son casting de grands noms du cinéma d'horreur, débauche pour La Malédiction d'Arkham Lon Chaney Jr., alors bien malade. Le célèbre loup-garou de la Universal interprète ici le domestique de Curwen, qui apparaît et disparaît somme toute assez mystérieusement tout au long du film. Son visage enflé, recouvert de la même lourde couche de maquillage que son comparse Vincent Price, dessine sur lui les contours de la malédiction... même s'il est finalement au service de son instigateur. Chaney Jr. mènera donc une deuxième carrière après les Universal Monsters ; il tournera notamment en 1964 le très étrange Spider Baby réalisé par Jack Hill.
On croise également dans le film la trogne de Elisha Cook, Jr., dont les yeux constamment empreints de terreur ont sillonné le cinéma américain, et notamment le film noir (Le Faucon Maltais, L'Ultime Razzia, Le Grand sommeil, Né pour tuer, ...)

Lovecraft s'est infiltré insidieusement dans le cycle Poe, et l'existence même de ce pas de côté faisant malgré tout officiellement partie du cycle est en fait son originalité. La série n'est pas terminée, AIP produira encore deux opus, les plus beaux peut-être : Le Masque de la mort rouge et La Tombe de Ligeia. Les producteurs n'oublieront pas pour autant Lovecraft, car la firme produira en 1965 Le Messager du diable (Die, Monster, Die!) adapté de La Couleur tombée du ciel et en 1970 Horreur à volonté (The Dunwich Horror), d'après L'Horreur de Dunwich. Qui réalise ces films ? Rien moins que Daniel Haller, le chef-décorateur du cycle Poe. Horreur à volonté accueille par ailleurs le premier scénario de Curtis Hanson, bien connu des années plus tard par la réalisation de Bad Influence, La Main sur le berceau, L.A. Confidential et 8 Mile.

Disponibilité vidéo : DVD / Blu-ray FR zone 2/B - éditeur : Sidonis

Sources bibliographiques : 

Roger Corman, Edgar Allan Poe : les démons de l'esprit / Marc Toullec, 2022
Livret et bonus de l'édition Arrow Video
L'Écran Fantastique Vintage n°14 : Roger Corman, un talent monstre / Frédéric Pizzoferratto, 2023

Image titre du film La Malédiction d'Arkham (The Haunted Palace, Roger Corman, 1963)


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